Chapitre 3 - Partie 1 : LES LARMES DU CIEL

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Londres - 7 mai 1888

Le début d'après-midi était promesse d'un printemps plus réconfortant que ne l'avaient laissé augurer les premiers jours. Mais, en ce mois de mai annonciateur d'un renouveau de la nature, Londres restait maculée de ses bâtiments tristes, veinés de pierres noircies, asphyxiée par un ciel chargé de crasse.

Alice soupira d'aise dans le cab. Delhumeau à ses cotés, elle envisageait avec plaisir la conclusion d'une enquête qui, avec une certaine fierté, avait été menée de main de maître... la sienne.

Les nombreux voyages de Delhumeau l'astreignant de plus en plus à décharger sur elle un grand nombre de responsabilités. La dernière affaire en date, Alice l'avait donc menée à bien seule, sous la houlette de Ferguson qui prenait le fauteuil du maître en l'absence de ce dernier.

Et sombre affaire que cette dernière qui avait accaparé toute son attention. Le meurtre d'une jeune domestique dans une maison cossue qui voulait garder pour elle cette nébuleuse histoire sans pour autant négliger son mystère. Pendant près d'une semaine, Alice avait remplacé la victime et pénétré les secrets d'une maison, dont les couloirs feutrés cachaient d'obscurs mensonges. Si elle n'avait compris pleinement la finalité de cette histoire, Delhumeau, en lisant ses rapports remplis de tous ses détails qu'elle rapportait et auxquels il conférait un grand intérêt, paraissait avoir élucidé le mystère en restant assit dans son fauteuil préféré.

Il n'avait pas voulu lui en révéler les vérités, mais lui avait promis que cette fois, elle pourrait elle-même commencer à éclaircir les différents points devant une maison réunie à cet effet.

Pour ce faire, Alice depuis n'arrêtait pas de parfaire encore et toujours le début de son discours qui viendrait à dévoiler au grand jour ce qui avait conduit au meurtre et gâché deux vies. Celle de la victime et de son assassin.

Toutefois, nonobstant l'excitation qu'elle ressentait à cette éventualité, la jeune femme ne put s'empêcher de rester animée d'une rancœur portée à l'encontre de son patron qui restait résolument silencieux dans le chaos des chevaux.

Lissant une dernière fois sa jaquette d'un velours purpurin des plus éclatant, faisant échos à sa jupe ponctuée de rayures blanches, Alice prit la parole quand ils passèrent dans Eaton Square, allant dans la direction opposée à celle qu'ils devaient prendre.

— Mais où allons-nous, Henry ?

— Nous passons d'abord prendre Ferguson. Il a travaillé autant que vous sur cette affaire, il mérite donc autant que vous d'être présent.

— Quelle délicatesse. Venant de vous c'est plus qu'étrange.

— Plaît-il ?

La nonchalance de son employeur qui ne portait son regard qu'à la rue, méprisant tous ses efforts pour être à son avantage, la fit rugir de colère. Une colère trop longtemps retenue à son avis et qui la laissait toutefois perplexe. Depuis quand s'intriguait-elle du comportement de Delhumeau et mettait-elle autant de pugnacité à attirer son attention ? Depuis l'affaire des deux lits.

— Vous êtes impossible.

— Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Là rien, mais...

— Alors, pourquoi hurler ? Ne pouvez-vous donc être constante, Alice ? Ou faire preuve d'un soupçon de logique dans vos reproches.

— De la constance ? Bien ! Parlons de miss Forster.

La main de Henry Delhumeau se plaqua sur le rebord de la portière du véhicule, ses cheveux aux boucles charbonneuses se soulevant d'une brise vagabonde.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauWo Geschichten leben. Entdecke jetzt