Chapitre 11 - Partie 1 : DETECTIVES EN JUPON

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Le cirque fut vite vidé de ses spectateurs. Les curieux poussaient sans ménagement les artistes également invités à rejoindre l'extérieur, le crime n'était pas un spectacle. La famille Delhumeau avait été poussée vers la sortie, seules Alexandra, de par sa position d'épouse et Alice, en sa qualité de témoin, avaient été amenées à rester auprès des deux suspects aux yeux du sergent Philippot : Henry Delhumeau et Camille Ferguson.

Alice, inspirait longuement afin de garder son calme. Retrouver un esprit clair, lucide, dénué de tout sentiment. Avant qu'ils ne se retrouvent en présence seule de la maréchaussée, elle avait observé longuement Henry et Camille ; cherché chez l'un ou chez l'autre un signe d'acquiescement, un geste réconfortant. Mais les deux hommes étaient restés fermés, luttant pour ne pas croiser le regard de l'autre. La jeune femme décrypta leur réaction commune comme un aveux cinglant de leur culpabilité. Tout du moins, elle eut la sensation qu'il se nouait entre les deux hommes un mutisme qui cachait une terrible vérité. Et Alice découvrit que ne plus être dans les confidences de ces deux hommes lui faisait horreur. Elle se tordit les doigts sans en avoir conscience et se rasséréna à nouveau. Un esprit clair, lucide !

Elle observa l'adjudant-chef Philippot qui examinait les lieux autour d'un cadavre que l'on avait recouvert d'un drap trouvé non loin. Grand, élancé, dans son uniforme de gendarme, sa bouche disparaissait sous une moustache brune et son regard était rétréci par d'intenses réflexions. Il tourna en rond autour du cadavre dans un sens, puis dans l'autre, élargissant peu à peu son champ d'observation. C'était là de singulières méthodes qui lui semblait toutefois intéressantes d'observer, et peut-être même à mettre en pratique, à l'occasion. Ces mimiques l'amusèrent. Elle lui trouva des gestes dignes de la comedia dell'arte et le jugea moins sévèrement quand il se redressa en tenant à bout de doigts, un revolver.

— Ainsi donc vous l'avez tué.

— Oui. Mais c'est une regrettable affaire. Je me suis défendu, se récrimina Ferguson.

— C'est bien là votre arme ?

— Oui. Je ne sais pas comment. J'ai constaté sa disparition ce matin même.

— Je confirme, s'interposa Henry. Il est venu s'en ouvrir auprès de moi.

— Moi également, reprit Alexandra.

— Madame, pardonnez-moi, mais vous êtes son épouse. Je ne peux prendre en compte vos paroles. Je vous demanderai de garder le silence ou je vous ferai sortir !

— Mais...

La frustration et la colère se dessinèrent sur le visage de l'épouse. Alexandra prit le parti d'obéir et se cramponna au bras de son mari.

— Reprenons depuis le début. Monsieur.

Ferguson inspira longuement et raconta avec détails comment Samuel Kent et lui même s'étaient retrouvés dans le premier rôle du tour du magicien. Comment Samuel l'avait alors agressé, le menaçant de sa propre arme et le combat qui en avait découlé. Puis, le coup était parti. Durant toute cette longue tirade, Henry ne pipa mot au plus grand étonnement d'Alice. À deux occasions, ce dernier aurait pu démonter la culpabilité au profit d'une légitime défense. Bien au contraire. Il restait silencieux et distant et la jeune femme se demanda si elle-même pouvait intervenir. Mais le ferait-elle contre son employeur qui avait peut-être une idée derrière la tête ?

Cependant, quand l'adjudant-chef l'interrogea à son tour, Henry ne confirma que son arrivée sur le lieu du drame, attiré par le bruit du coup de feu. Il avait trouvé son ami debout au-dessus du corps de la victime, l'arme en main. Il n'avait rien vu de plus. Quant à Alice, elle ne put rien ajouter pour défendre son ami. Qu'avait-elle vu ? Rien qui ne puisse innocenter Ferguson ou l'aider. Elle n'avait était le témoin que de la précipitation de Henry sur la piste. Et une fois parvenue à son tour à ses côtés, il ne l'avait pas laissée regarder quoi que ce soit. Avait-elle seulement le souvenir du corps de la victime ? Juste celui d'une masse sombre sur le sol. Aucun trait de visage ne lui revenait. Sa mémoire restait hermétique à toute ses tentatives, comme si effacer ce souvenir faisait qu'il n'avait jamais eu lieu.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauМесто, где живут истории. Откройте их для себя