Chapitre 6 - Partie 2 : PAR MONTS ET PAR VAUX

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Il en était à se poser la question, en considérant le français, quand il remarqua combien ses traits s'étaient parés d'un masque sombre. Delhumeau ne riait pas, ne s'amusait pas des taquineries de ses deux associés et ne sembla même pas sur le point d'y ajouter cette verve dont il était si célèbre et dont il avait été victime sur le trottoir du 66. Il était au contraire statufié, son regard portant au loin, en direction des abords du quai.

Pope suivit son regard et trouva au milieu des visages anonymes un qui l'était bien moins. L'homme leur faisait dos, le col paletot remonté sur son cou, il ne cherchait pas à dissimuler ses traits, les considérant avec culot, ses yeux limpides les toisant avec impatience.

Le cœur de Pope frappa dans sa poitrine et dans un même élan que Henry, se mit à courir dans cette direction.

— Restez ici, eut-il le temps de hurler à l'un de ses hommes.

— Que se passe-t-il ? quémanda aussitôt Alice.

Alexandra se redressa à son tour et toutes deux dévisagèrent Ferguson qui venait de monter sur un banc non loin de là, prenant de la hauteur.

Il voyaient son ami et l'agent secret se perdre à leur tour dans la foule. Toutefois, l'agitation dans le hall de gare fut telle, qu'il compris sans peine que Delhumeau et Pope poursuivaient quelqu'un dont il eut soudainement la vision. Une silhouette élancée qui sauta par-dessus un parapet avec agilité, disparaissant derrière une locomotive en transit. Delhumeau en fit de même quelques secondes plus tard, suivit de Pope.

Ne les voyant plus. Ferguson oscillait entre appréhension et excitation, voulant à son tour se précipiter dans la chasse. Mais la présence des femmes quémandait qu'il resta maître de lui.

— Camille ?

— Où est Henry ?

— Je ne sais pas. Restez à l'intérieur. Doraleen, montez, ordonna-t-il en sautant du banc.

Brutalement, Ferguson perçut l'absence de la jeune femme et n'eut que le temps d'apercevoir ses jupes disparaître entre deux bagagistes. Il se précipita à sa suite, fulminant contre lui-même.

— Camille ! hurlèrent Alice et Alexandra.

Si le désir des deux femmes de descendre du compartiment fut instinctif, les deux hommes des services secrets, qu'il fut français ou britannique, les empêchèrent en se postant devant la porte.

— Laissez-nous passer, ordonna Alexandra avec aplomb, avant même qu'Alice n'ait eu le temps d'émettre la même semonce.

— Non. Désolé, mesdames. Les ordres sont les ordres.

Sans autre forme de procès, l'agent referma la porte du compartiment.

Coupées du monde, les deux jeunes femmes se retournèrent, ayant la même idée de passer par le couloir du wagon, mais leur retraite fut tout autant surveillée par un homme grand et svelte qui, la main dans la veste, n'offrait aucune perspective heureuse d'évasion.

— Mince, lâcha Alexandra, tandis qu'Alice laissa échapper un juron plus ordurier, accompagné d'un coup de pied dans la banquette.

Le son distordant de la foule était plus intense alors que l'accompagnait le sifflement d'un train qui arrivait en gare. Il ne fut pas difficile pour Ferguson de rattraper Doraleen qui venait de s'arrêter au bord d'un quai qui suppléait le leur de deux voies. Avec vivacité et inquiétude, il l'agrippa et la fit se retourner. Son visage était rouge de confusion, ses yeux dansaient en tout sens, cherchant encore ce que Delhumeau et Pope avaient pris en chasse. Sous ses doigts, il pouvait sentir des tremblements incontrôlables.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauWhere stories live. Discover now