Chapitre 6 - Partie 1 : PAR MONTS ET PAR VAUX

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Poppy miaula pour attirer son attention et parvint à la sortir de ce brouillard de pensées.

— Non, je ne t'emmène pas mon grand.

Le chat brailla de plus belle, ronronnant de façon intermittente en se frottant au bas de sa robe. Une tenue de voyage que sa coquetterie n'avait pas manqué de choisir d'un beau bleu roi, froncé de carmin, sa tournure faite d'un bouillonné moins opulent que ne l'exigeait les codes en vigueur pour ce printemps 1888, mais qui rendrait son périple plus aisé. Elle s'emmitoufla un peu plus dans le la laine épaisse de sa Visite, le frimas printanier pénétrant sa chair.

Alice adorait son petit chat aux si grands yeux bleus qu'ils semblaient voir au-delà de ce que tout être avait faculté à contempler. Malin, d'une intelligence vive, elle s'inquiétait de le laisser au 66. Non pas qu'elle doutait de la tendresse qu'avait promis de lui donner Mrs McFear qui avait pris cause et fait pour ce voyage et ce, malgré les récriminations de Doraleen, prenant la décision de rester et de s'occuper de la gestion des deux maisons durant son absence. Mais sa petite boule poils dont le grelot tinta avait manqué de mourir de cette poudre bleu et elle le revoyait encore paralysé sous l'armoire de la chambre de Delhumeau après la fusillade. Elle avait peiné à le rassurer des heures durant et quand enfin elle était parvenue à le sortir de là, il ne l'avait plus quittée, la suivant partout où il lui était possible d'aller avec elle.

Avec attention, elle le prit dans ses bras et s'approcha de la silhouette d'Abigail Grimm, dont la ressemblance avec sa petite sœur était encore plus flagrante à la lumière diffuse du corridor, qui vivait des allers et venues de Henry et Magnus qui descendaient les bagages. Son ventre plein ayant pris encore du volume en tout juste dix jours, elle n'avait pas de peine à imaginer Doraleen enceinte et en éprouva une vive tristesse quand on se remémorait par quelle tragédie cela les avaient menées à se connaître.

— Il ne veux pas vous quitter. Voilà un chat bien aimant, fit remarquer Abigail en prenant dans ses bras Poppy qui poussa un miaulement d'approbation.

— Oui. J'ai moi même peine à le laisser.

— Il sera bien mieux ici qu'en France. Ma mère prendra grand soins de lui, je puis vous l'assurer. Mes sœurs et moi avons grandi avec les chats, tant elle recueillait tous ceux qu'elle trouvait dans le dénuement. Et elle continue.

Abigail apporta foi à ses propos en caressant le félin qui sembla apprécier le doigté.

— Doraleen, allez-vous donc vous dépêcher ? Il ne manquerait plus que nous rations notre correspondance, hurla Delhumeau, tandis qu'apparaissaient Ferguson et Alexandra dans la cuisine pour prendre une collation avant le départ.

Accueillis par Jane McFear qui les installa avec beaucoup d'attention pour les servir, Alice profita qu'un fiacre passa dans la rue pour se détourner de la vision du couple. Leur amour et leur attachement profond n'était plus à réprouver. Cependant, la jeune femme ressentait la sensation de n'être qu'une ombre pour Ferguson, comme un deuil difficile à faire.

— Doraleen, éructa plus vertement Delhumeau.

— Non !

Le ton inflexible du français qui se trouvait au bas des escaliers, accoudé avec cette nonchalance bien à lui, et celui tout aussi volontaire de l'anglaise qui hurlait de sa chambre, amusa Alice et l'écarta aussi vivement de ses considérations de cœurs qui n'avaient pas leur place.

Elle aima au contraire voir Henry s'appesantir sur le garde corps de l'escalier, voûte sur lui-même, inspirant dans un costume qui tranchait avec son habitude d'être toujours du dernier chic avec cette pointe de désinvolture. La toile de son pantalon était simple, sa chemise cotonneuse. Il portait un gilet noir sans aucune fioriture et avait abandonné la cravate, ainsi que son beau manteau, remplacé par un caban démesurément long, les boutons talés par l'usage. Un obscur souvenir qu'il ne quittait plus, dès qu'une certaine mélancolie lui prenait de le sortir de ses armoires. Il n'en semblait pas moins séduisant, sa tignasse sombre défaite et ses yeux gris étincelants d'intelligence et de fatigue. Il inspira bruyamment pour contenir sa rage des beaux jours devant les parents de la jeune femme qu'il prenait, de façon incroyable, grand soin de ne jamais froisser de quelques façons que ce fut. Toutefois, la dernière inconstance de Doraleen mis a mal ses bonnes volontés.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant