— C'est juste que votre télégramme laissait entendre que vous ne rentriez que dans deux jours. Pas ce soir. Mais qu'importe... Vous avez fait bon voyage ? Vous avez une mine affreuse. Vous devriez allez vous reposer, il est déjà presque vingt-trois heures.

Les mots étaient précipités, les gestes saccadés. Il n'en fallut pas plus pour que le français se redresse, portant toute son attention sur les deux femmes. Leurs traits éburnéens étaient affublés d'un manque évident de tranquillité. Pour ne pas dire qu'à la faveur de flammes vacillantes, elles semblaient nerveuses.

— Je ne suis passé que pour poser mon bagage, je dois me rendre auprès de mon supérieur sur l'instant, une voiture m'attend.

— En ce cas, ne la faite pas attendre. Je vais monter votre sac, proposa Victoriana McFear.

Dans cette anglaise à l'excitation prononcée, Henry décela sur l'instant une impatience trop attachée par des gestes précipités. En l'occurrence, Alice et Mrs McFear allaient à contrario des amabilités d'usage à son retour et ne pouvaient que cacher un secret.

Ne manquant jamais de noter tout détail possible de servir ou de desservir, il sourit en voyant la vieille logeuse se précipiter sur son sac de cuir noir à soufflet. Il étudia la jeune femme et sa gaucherie à tenter de dissimuler la gêne qu'occasionnait son désaveu, mais la façon dont elle avait de se triturer les doigts comme une enfant trahissait sa nervosité. Puis, la plus vieille et sa rectitude accrue allongea sa silhouette d'une poitrine mise en avant pour mieux se donner de la tenue. Autant dire qu'elles venaient toutes deux de comprendre leur impair. Raison supplémentaire de s'interroger.

Il s'approcha d'Alice, la détaillant un peu plus elle et ses cheveux bruns dont elle acceptait enfin les boucles après les avoir impitoyablement combattues. Ses yeux marron avaient de beaux reflets, un regard espiègle qu'arrangeait un nez chafouin et de jolies lèvres rieuses. Une femme de noble lignage, qui tenait plus de la pie que de la colombe.

Voila bientôt un an qu'elle était entrée dans sa vie passant la porte du 66 et, s'il s'était amusé à la tirailler comme il le faisait de tous les locataires qui avaient le malheur de franchir le seuil de cette maison, la frondeuse demoiselle avait tenu bon. L'enquête qui les avait menés à plus se côtoyer, les avait unis dans l'affrontement, pour lui de son frère et pour elle de son père, achevant de nouer ce lien immuable. À moins que la passion physique qui les avait dévorés alors ne soit également de la partie. Un point non négligeable assouvi d'une étreinte encore tiède dans ses souvenirs.

Il renifla, cherchant à percer le mystère de ses effluves qui chatouillait son nez mort, et finalement porta son regard sur sa logeuse qui, vieille dame aux entournures de despote, sans manquer de charme d'une beauté d'antan fanée par les années, était bien la seule des deux à savoir soutenir son regard sans faiblir et lui renvoyer même une âcreté des plus émoustillantes. Cependant, son visage était plus tiré qu'à son départ. Elle semblait porter sur elle une fatigue constante qu'elle s'évertuait à cacher. Cela l'inquiéta sans qu'il n'en dise mot.

Delhumeau soupira et sourit, déjà lancé dans une nouvelle partie.

— Que me cachez-vous toutes deux ?

— Rien.

— Pourquoi vous cacher quelque chose, Delhumeau ?

— Monsieur. Vous salissez mon tapis, railla brutalement Mrs McFear.

— La pluie. Je n'y suis pour rien.

— Ce n'est pas une raison !

— Ne détournez pas le sujet de ma curiosité.

— Sinistre bonhomme.

Delhumeau plongea ses mains dans les poches de son pantalon et s'approcha de Mrs McFear.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur Delhumeauजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें