Chapitre 1 - Partie 2 : DANS LES AIRS ET SUR TERRE

Start from the beginning
                                    

Luz Petitpont, qui avait déjà goûté les bras de Delhumeau par le passé, n'y vit rien d'intéressant en épouse fidèle. Quoique...

Mais l'instant de plaisir passé, elle nota le tatouage que son compagnon de voyage arborait à l'intérieur de son bras droit. L'un des arcanes du jeu de tarot : l'ermite, ainsi que le filet de sang sur son épaule.

- Vous êtes blessé, se précipita-t-elle de faire remarquer en se levant d'un bond.

- Des Russes.

- Laissez-moi regarder, ordonna-t-elle en sortant une trousse en cuir de son bagage.

- Pas question que vous me touchiez, espèce de cinglée.

- Ce n'était pas une proposition, abruti.

D'une main, elle l'empoigna et le fit s'asseoir puis l'enjamba afin de lui prodiguer les soins nécessaires. N'ayant que peu d'affinités avec cet homme qui avait le don de la mettre en colère de sa simple présence, Luz avait pour mission de s'assurer qu'il revienne en un seul morceau. Et son époux, qui avait pour Henry Delhumeau une dévotion qui dépassait l'entendement, ne le lui aurait jamais pardonné son manque de tolérance. Enfin, elle se souvint dans sa mémoire d'avoir prêté le serment d'Hippocrate après ses études de médecine.

Debout dans l'allée, ses jupes rebondies en un joli bouillon de soie sauvage, elle méprisa les airs courroucés et examina la plaie tout en sortant le nécessaire de sa trousse de cuir posée sur la tranche du banc contiguë.

- Vous nous faites remarquer... bougonna Henry, en étendant ses jambes pour se mettre plus à l'aise.

La remarque n'avait que pour but de briser ce silence qui lui était plus pesant, car elle incitait son cerveau à travailler là où il souhaitait le mettre au repos.

- Ça devrait vous plaire, minauda-t-elle ses seins ballottés sous ses yeux par les mouvements du train.

- Possible...

Voyant qu'il regardait plus profondément son décolleté, elle comprit le sous-entendu qui n'avait rien à voir avec l'orgueil du Français qu'elle mettait en avant et posa rageusement sur la plaie un coton imbibé d'une solution alcoolique. Delhumeau, se crispa sans émettre le moindre son et détourna son regard, comprenant la punition.

- J'espère que votre truc fonctionne, fit-il en montrant du doigt le sac de toile.

Une question pour oublier la douleur de l'aiguille qu'il sentait passer dans sa peau. Il avait pourtant espéré échapper aux points de suture, à moins qu'elle n'ait trouvé là l'occasion de le faire souffrir.

- Bien sûr qu'il fonctionne. C'est mon prototype, répondit-elle en prenant soin des cahots du train qui malmenaient son travail de couture.

- Je vous rappelle qu'avec l'une de vos géniales trouvailles, j'ai perdu mon odorat.

Luz soupira bruyamment. Cette histoire, Henry ne cessait de la rabâcher. Sans jamais l'avouer ouvertement, elle s'en reprochait encore aujourd'hui les effets dévastateurs que cela avait eus sur lui.

- Je vous ai dit que ça reviendrait.

- Ça fait six ans.

- Ça reviendra, cracha-t-elle les dents serrées.

- Six. Ans.

Pour seule réponse, elle coupa le fil et remisa son matériel dans sa trousse. Elle constata seulement alors que tous les voyageurs les observaient, les yeux prêts à jaillir de leurs orbites, tant ils devaient être choqués du spectacle auquel ils assistaient sans en comprendre un mot, Delhumeau et elle-même s'exprimant en français depuis le début. Mais la verve de la jeune femme n'ayant pas de frontière même aux barrières de la discrétion, elle les toisa plus vertement encore qu'ils ne la rabrouaient de leur moralité bien faite et leur asséna des mots bien sentis.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauWhere stories live. Discover now