- Chapitre 3

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— Aïe !

Cela devait bien faire deux minutes montre en main que l'infirmière me nettoyait ma plaie en retirant sèchement les bouts de verre s'y étant incrustés. Elle n'hésitait pas à planter ses faux ongles fluorescents dans ma chair, puis à en rajouter une couche avec un coton imbibé d'alcool.

— Cesse donc de gesticuler !

Je ne m'étonnais pas de son langage soutenu, il était tel depuis mon entrée au lycée. Cette dame avait beau se faire belle avec des dizaines de produits cosmétiques chaque matin, l'âge l'avait rattrapée en creusant des rides sur son visage et en abîmant méchamment son style vestimentaire. Elle me faisait souvent penser à la marâtre dans Cendrillon, avec des robes à fleur en supplément. Drôle de mélange...

Depuis que j'avais cassé ce satané miroir, la sonnerie avait retenti pour me ramener à la réalité. J'étais entrée en titubant dans l'infirmerie pendant que ma main pissait le sang, et j'ai bien cru que ce n'était pas moi mais elle qui s'apprêtait à faire un malaise. Phil est passé dans le couloir pour se plaindre de l'état ensanglanté du sol qu'il venait juste de nettoyer. Et moi, je n'ai rien dit.

Une frappe délicate sur la porte me fit sursauter. Elle était déjà entrouverte, ce qui me faisait terriblement craindre l'apparition d'un élève me connaissant. Comment pourraient-ils réagir en sachant ce que j'avais fait ? Que j'étais la raison pour laquelle les toilettes des filles au premier étage étaient fermées, et pour laquelle toutes les adolescentes dans leur mauvaise semaine seraient forcées de changer d'étage ? Ça allait crée un embouteillage au niveau des autres cabines de W-Cs, et tout le monde me haïrait, et...

— Mademoiselle Robins ?

Reconnaissant cette voix, je lève la tête : la proviseure se tenait face à moi. On avait dû la déranger dans son bureau en plein travail, car le bout de ses doigts était couvert de taches de surligneur pastel. Ses talons claquaient sur le sol comme la mélodie funeste d'un renvoi en prévision. Jamais je n'avais causé de problèmes, et encore moins été renvoyée, ne serais-ce que pour quelques jours. Ç'aurait été la honte !

Elle referma la porte délicatement, puis tourna le verrou pour s'assurer que personne n'entre - ou ne sorte. À vrai dire, j'avais beau ne pas me laisser facilement intimider, je n'aimais pas être seule dans une pièce avec deux adultes. En particulier s'ils sont plus haut-placés que moi dans la chaîne alimentaire de cette jungle.

— Mademoiselle Robins ?

Je me rends seulement compte maintenant qu'elle s'était approchée à moins d'un mètre de moi. J'avais l'impression qu'elle envahissait mon espace vital, mais je n'ai rien dit. Ça restait la proviseure, qui siégeait sur son trône inconfortable au-dessus de nous autres, pauvres adolescents comparés à du bétail qu'il fallait diriger dans la bonne direction.

— Oui...?

— Est-ce bien toi qui as brisé le miroir des toilettes ?

J'avais envie de lui répondre « qui veux-tu que ce soit ? », mais ce n'était pas le moment idéal pour transformer mes mots en piques acérées. J'ai hoché la tête silencieusement, penaude. Elle a soupiré.

— Je vais devoir appeler tes parents pour cet acte de vandalisme. Tous les biens du lycée sont précieux, et ils méritent d'être bien traités pour les générations à venir.

— Sauf votre respect, commençai-je, les toilettes du premier étage sont dans un état sanitaire lamentable. Personne n'y allait de toute façon.

Faux. Les plus sales et désespérées, que j'aime imaginer avec des verrues de sorcières y vont. Et il y en a plus qu'on ne pourrait le croire.

DISPARUS ( "The Hunt", TOME 1 ) | EN ACTUELLE RÉÉCRITURE  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant