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Une heure plus tard dans les maritimes.

        Jacob était penché au-dessus d'un minuscule pupitre, le front plissé comme les marches d'une église. Ses petits yeux protubérants parcouraient un parchemin* de long en large, tandis que son majeur tentait de suivre le rythme du balayage erratique de son mieux. Pour l'apothicaire royal, ce comportement était ce qui s'approchait le plus de la lecture. Le parchemin étudié était couvert de minuscules barbots informes, que l'on aurait pu aisément croire appartenir à une langue ancienne. Toutefois, un linguiste curieux d'identifier cette forme de calligraphie aurait été fort déçu, car en vérité, ces gribouillis étaient l'œuvre fantaisiste d'un complet analphabète.

        Oui, Jacob tentait de relire ses propres notes, sans y comprendre quoi que ce soit. L'apothicaire croyait qu'en essayant d'écrire régulièrement, les gribouillis produits finiraient tôt ou tard par former de véritables lettres, et qu'ainsi lui viendrait la connaissance des mots. Cette théorie s'était avérée infructueuse jusqu'à ce jour, tout comme les autres théories imaginées par Jacob d'ailleurs.

        Ce document tristement illisible contenait les observations faites par l'apothicaire par rapport aux soins administrés à son bien heureux patient. Il avait d'abord essayé cette plante avec ces feuilles rondes. Le résultat, une petite poussée de fièvre. Ensuite, il avait récidivé avec une concoction de champignons broyés. Le résultat, vomissement instantané. Malheureusement, Jacob n'arrivait plus à se souvenir du résultat de ces racines broyées. C'était dommage, car il lui semblait que l'expérience avait été des plus amusante. Au moins, il avait correctement noté** la réaction des pétales broyées, qui octroyait une meilleure haleine. Ce qui était fascinant dans cette dernière expérience était que l'on obtenait le même résultat, peu importe la technique utilisée pour broyer les pétales. C'était le genre de détail qui surprenait toujours Jacob, ainsi que ses patients mais pour une tout autre raison.

        Bon, il était temps de passer à la prochaine expérimentation. La main de Jacob sélectionna un petit pot de verre sur le rebord de sa fenêtre. Il avait laissé cette concoction de racines et de sève mariner toute la nuit. Cela ne pouvait qu'en améliorer ses effets, déduisit logiquement l'apothicaire. Il se retourna avec assurance et fit face à son patient***. Les yeux de celui-ci s'écarquillèrent soudainement et son corps fut parcouru de brusques spasmes. Jacob avait remarqué que ces réactions allaient en amplifiant depuis le début du traitement, ce phénomène devra être noté avec grand soin.

— Bon, une petite cuillerée de ceci devrait vous remettre de bons pieds, dit l'apothicaire avec un sourire qui n'essayait même plus de se vouloir rassurant.

        Comme le patient gardait la bouche hermétiquement close, Jacob eut recours à sa célèbre technique, et c'est à dire de frapper les dents du bout de la cuillère jusqu'au moment où le passage s'ouvre.

— Voilà qui est mieux, félicita Jacob.

        Maintenant, observons le résultat. Les hauts de cœur habituels, oui d'accord. Les larmes aux yeux, parfait. Ho, quelque chose de nouveau se préparait. Fantastique se dit Jacob. La peau du patient, du moins les parties visibles entre ses pansements, fut prise d'un grand frisson. Puis contre toute attente, il se passa quelque chose ! La pigmentation de la peau tourna lentement au vert. Et non pas l'usuel vert malade que Jacob était accoutumé de voir, mais un vert beaucoup plus clair, comme du gazon.

— Fantastique, siffla l'apothicaire en proie à une vive excitation.

        Cette découverte inattendue fit naitre un grand sentiment de fierté dans le cœur de Jacob. Il était désormais un scientifique accompli, sa découverte faisant preuve de ses compétences inattendues. Contre toute attente, incluant même les siennes, le petit apothicaire analphabète venait de faire une véritable découverte. Jacob retourna vite à son pupitre afin de barbouiller quelques notes approximatives sur sa récente trouvaille. L'exaltation de la victoire n'allait qu'agrandir sa motivation pour les expérimentations à venir. Au grand damne de son pauvre patient vert.


* Ce style rhétorique se nomme une Allitération. L'allitération (substantif féminin), du latin ad (« à ») et littera (« lettre ») est une figure de style qui consiste en la répétition d'une ou plusieurs consonnes, à l'attaque des syllabes accentuées, à l'intérieur d'un même vers ou d'une même phrase.

** Un dessin vaut mille mots, de surcroit lorsque ces mots sont illisibles.

*** Ok, soyons honnêtes, on devrait plutôt employer le terme cobaye. Sauf qu'un cobaye n'est généralement pas quelqu'un qui a besoin de soin. Donc dans l'ambigüité, laissons le choix au narrateur.

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now