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Environs deux heures plus tard.

        La croyance populaire veut que pour devenir un grand chef cuisinier, on doive avoir un net penchant pour la gourmandise. Or cela ne peut être plus faux. Lorsque l'on apprécie toute nourriture confondue, on n'est pas outillé pour déceler ces arômes subtils et délicats qui prodiguent leur magie* au repas succulent.

        C'est principalement à cause de cet adage, valide ou non, qu'Arnold était devenu chef cuisinier royal. Depuis sa plus tendre** enfance, Arnold n'avait jamais aimé manger. Enfant difficile de parents désemparés, il grandit plus qu'il ne grossit. Il ne mangeait que ce que ses papilles approuvaient, et c'est-à-dire à peu près rien. Était-ce dû à un sens du gout surdéveloppé, ou à une malformation de ses papilles gustatives ? Qui sait*** ?

        Le résultat était qu'Arnold répugnait toute forme de nourriture. Cette aptitude opposée à la survie du genre humain vint un jour à atteindre les oreilles du roi. Utilisant une fois de plus son légendaire discernement****, le roi invita cet homme à devenir son cuisinier royal. La rationnelle en était pourtant simple : la nourriture que pourrait préparer un homme possédant un sens du gout si capricieux allait être forcément exquise. Ainsi soit la décision du roi. Personne n'allait le contredire, pas même l'estomac du principal intéressé qui encore aujourd'hui, en subissait les contres-coups.

        Et oui, ces belles théories se retrouvent parfois malmenées par la blanquette de la réalité. L'un des problèmes rencontrés par le chef cuisinier était la difficulté à évaluer ses propres créations, car toute nourriture lui roulait naturellement dans la bouche. Pourtant Arnold s'appliquait à sa tâche avec grande dévotion. Étant un homme consciencieux et qui par-dessus tout tenait à l'intégrité de son cou, il utilisait au mieux ses ressources afin de préparer des repas qui ne font pas vomir à la première cuillérée.

         Une de ces ressources se nommait Toto. Toto était un jeune orphelin que le cuisinier avait rescapé d'un sort incertain. Certains le disaient simple d'esprit, Arnold aimait plutôt le qualifier d'extrêmement serviable. Et une autre des qualités de Toto était sa franchise propre aux enfants.

— Dépose le panier de salade ici Toto, demanda le chef cuisinier.

        Et Toto s'exécuta.

— Goute à ça, dit Arnold en tendant une cuillère de blanquette. Et puis, c'est bon cette fois ?

        Toto se contenta de hocher la tête. C'était bon signe, du moins c'était mieux qu'un haut de cœur. Le serviable Toto répondait toujours franchement à ces tests de dégustation. Pas de fausses politesses, pas d'avis atténués, que la vérité crue et dure*****. De cette qualité, le chef cuisinier lui devait certainement la vie.

— Parfait, lave la salade, nous servons le souper dans dix minutes, ordonna le chef.

        Mais Toto avait aussi des défauts, dont celui de laisser filer entre ses deux oreilles des commandes importantes.


* Ici on ne fait pas référence à ces repas modifiés magiquement, que bien qu'exquis, vous fait évacuer des objets illicites pendant les trois prochains jours.

** Tendre ou pas, son steak il ne mangeait pas.

*** Oui, une personne le sait. Mais cette personne chargée de problèmes bien plus importants s'en fou éperdument.

***** Et comme vous allez le constater au fur des prochaines pages, ce sens légendaire du discernement mérite au bas mot son qualificatif.

***** Tout comme les steaks du cuisinier d'ailleurs.

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now