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Dix heures tapant.

        C'est sous une certaine appréhension que Lambert pénétra dans l'intimidante tour du magicien. La victoire d'hier avait été beaucoup trop facile. Le roi avait appris que lorsqu'une chose nous semble trop facile, c'est généralement parce qu'elle a été mal faite et, qu'elle va nous retomber dessus*. Alors qu'il posa le pied dans le laboratoire de Shalim au sommet de sa tour, ses craintes se confirmèrent telle une inéluctable prophétie. Originalement bien éclairé, on avait drapé chacune des petites fenêtres du laboratoire d'un rideau noir opaque. La seule source de lumière diffuse provenait des bougies disposées en cercle au centre de la pièce. La scène était austère, et l'ambiance lourde. Shalim, assis à même le sol en position de méditation, daigna finalement lever les yeux sur le roi.

— Vous entrez à présent dans le cercle des initiés. Êtes-vous prêt ? questionna Shalim d'une voix grave et solennelle digne d'un clocher d'église.

        Holala, la situation était pire que le roi l'avait imaginée. Il avança d'un pas et osa répondre.

— Heeeee, oui ?

        Le mage leva brusquement une main et cria.

— ATTENTION ! La ligne rouge ! Vous ne devez pas franchir la ligne rouge. La force magique des runes antiques risquerait de vous engloutir l'esprit tel un petit pois.

        Lambert retira brusquement son pied. Au sol, un sinistre pentagramme était tracé de peinture rouge**. Des papillons se mirent à danser dans le ventre du roi. Ils dansaient non pas d'excitation, mais pour sacrer leur camp de ce lieu terrifiant. Et c'est aussi ce qu'aurait fait le roi s'il n'avait écouté que son instinct.

        Mais par chance, Lambert écoutait également ses oreilles, qui à leur tour, écoutaient les faibles sons provenant de l'extérieur de la tour. Son ouïe capta au loin, une voix assourdie qui blasphémait allègrement tel un joyeux fredonnement. Si l'on retranscrivait en une formulation littérairement plus acceptable, cela se traduirait par quelque chose comme : « femme de peu de vertu de gros amas de fumier putride ». Lambert ne connaissait qu'une seule personne capable de jurons si explicites, Judith.

        Si l'on croit que la peur peut-être un stimulant pour l'intellect, ce moment précis devrait être considéré comme une preuve irréfutable. L'étincelle qui jaillit dans le cerveau de Lambert, enflamma un circuit neurologique qui mena à l'éruption d'une idée.

— Maintenant, assoyez-vous, poursuivit Shalim d'une voix ténébreuse. Nous allons débuter l'étude des principes élémentaires de Fizban***.

        Lambert s'assit calmement. Maintenant qu'il avait un plan, l'environnement lui était soudainement moins hostile.

— En passant, interrompit négligemment le roi, j'organise une petite fête... ce soir même... Je pensais inviter... tous ceux qui contribuent au maintien du domaine royal. Question de remercier leur dévouement.

— Hum, hum, répondit Shalim d'un hochement de tête indifférent.

— Je pensais inviter Judith aussi. Qu'en penses-tu ? demanda innocemment le roi.

        Le visage sombre de Shalim se figea soudainement en une moue impassible. Cependant, on pouvait voir au tressautement de son sourcil gauche l'effort prodigieux qu'il mettait à conserver sa façade de marbre. Un cri victorieux explosa alors en silence**** dans le cœur du roi. Il avait frappé sa proie mortellement. Il ne restait qu'à attendre qu'elle se vide d'elle-même de son sang.

— oui, acquiesça timidement Shalim.

— J'ai aussi pensé que l'on pourrait préparer quelques tours de magie. Tu sais, ENSEMBLE ! Quelque chose qui en mettrait plein les yeux. Je suis certain que cela ferait une belle impression sur le public. U-n-e b-e-l-l-e i-m-p-r-e-s-s-i-o-n, termina le roi en détachant soigneusement chacune de ces syllabes pour être certain qu'elles traversent la couche d'ébahissement qui recouvrait l'esprit de Shalim.

— heeeee, oui, j'imagine que l'on peut faire cela, répondit finalement Shalim.


* En faisant référence au papier peint qu'il avait lui-même essayé de fixer au plafond, avec les résultats que l'on peut imaginer.

** De la peinture, c'est ce que l'on souhaitait ardemment être.

*** Ben quoi ?

**** Vous avez remarqué ? Un autre Oxymore ! Je suis une vraie machine Oxymorique.

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now