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Glissant tranquillement vers l'heure du souper.

        Émile prit une grande respiration, se gonfla les poumons, puis posa le pied sur la première marche. Ce n'est pas qu'il avait peur, ho non. Émile était, disons-le simplement, prudent. Avec toutes ces choses qui se disent à propos des caveaux de ce château, mieux valait effectivement être prudent.

        Émile ne croyait pas nécessairement tous ces ragots, il n'était pas si stupide. En fait, il possédait même une intelligence surprenante en corrélation au physique qu'il affichait. Émile n'était pas simplement gros, il était grand, grand et gros, ou gros et grand. Et non pas le genre de gros qui pendouille de partout et qui souffle comme un cochon au bout d'une corde. Plutôt le genre de gros qui impose le préfix monsieur et qui prohibe tout désire d'objection*.

        C'est d'ailleurs ce physique avantageux qui lui avait fait gagner son poste de garde royale. Il n'eut même pas à soumettre sa candidature, le poste lui fut attribué implicitement et personne ne s'y opposa. Pas même le roi. Mais personne n'avait matière à se plaindre de ce choix. Émile était au poste à la première heure, remplissait consciencieusement ses tours de garde, calmait les visiteurs perturbés et déplaçait les meubles lorsqu'on lui demandait**.

        C'était justement ce dernier point qui ennuyait un peu le garde royal. Plus jeune, il avait rêvé d'une carrière exaltante, remplie d'héroïsme, de dragons et de conquêtes. Et le voilà aujourd'hui qui se voyait confier l'importante mission de récupérer l'armure royale au sous-sol. Du moins, c'était la mission la plus exaltante qu'il avait reçue ce dernier mois, ce qui en disait long sur sa situation.

        Rendu au bas des marches, le garde royal posa une main sur son épée, tandis que l'autre haut levée tenait une torche. Pas de créature sur trois pattes qui se nourrit d'excréments, ni de souffle froid qui sème la détresse dans le cœur des hommes, et ni de tapisseries fleuries style arrière-grand-mère qui glaçait le sang. Rien d'anormal quoi. Légèrement rassuré, Émile emprunta le couloir qui s'ouvrait devant lui. Théodore le majordome, lui avait brièvement expliqué à quel endroit il retrouverait l'armure. Cette brève explication s'était mutée en longue explication, puis en croquis et finalement en plan détaillé. Ce sous-sol était un véritable labyrinthe, et selon les dires, il s'étendait sur plusieurs niveaux, dont les plus profonds n'ont encore jamais été visités par l'homme***. Enfin, c'est ce que l'on raconte à la surface.

        Le garde royal sortit le plan gribouillé, et tenta d'y comprendre quelque chose. À l'étage supérieur, tout semblait clair et limpide. Mais dans ce sous-sol oppressant, tout devenait sombre et mystérieux. Émile suivit au meilleur de ses capacités les petits pointillés. On tournait à droite au premier coin, puis à gauche sous l'arche de pierre et on passe tout droit devant le comptoir de souvenirs. Et voilà, l'armure devait se trouver à ses pieds, juste là, où actuellement il y avait un gros cafard qui courait se mettre à l'abri. Soit il s'était trompé de direction, ou le vieux majordome un peu gâteau avait omis une indication.

        Bon, que faire à présent ? Un grincement inquiétant prit place de réponse. Remonter au plus vite semblait la meilleure des idées ! Émile retourna sur ses pas, continua tout droit, tourna à... Mais où était-il rendu ? Il ne se rappelait pas avoir vu la peinture de cette grosse femme avec ces yeux qui le fixaient de manière inquiétante. Perdu dans les catacombes ! Un sentiment d'angoisse empoigna soudainement le garde royal. La panique le gagnait. Guidé par la peur, il se lança d'un pas rapide au travers du couloir devant lui. Après de longues enjambées, il tourna à gauche et se mit à courir. Quelque chose le suivait, un ombre**** ou pire encore*****. Droit devant lui une porte jaillit. Par réflexe il lui présenta son épaule. Sous la masse du colosse, le pauvre rempart de bois céda net. Pensant rencontrer plus de résistance, le corps de Émile continua sur sa lancée et il s'étala de tout son long dans une petite pièce mystérieuse.

        Il allait déguerpir sans demander le reçu, lorsque son regard capta un reflet métallique. Devant lui, soutenue par un élégant présentoir, se tenait une magnifique épée. Sa lame scintillante réfléchissait les lueurs vacillant du feu de sa torche. Sa poigne finement décorée reflétait robustesse et maniabilité. Émile n'avait jamais vu son pareil. Comme hypnotisé, il en saisit la garde. D'une surprenante légèreté, l'épée se fondait à sa main tel un gant. Même qu'aucun gant ne lui avait aussi bien fait. Le garde fit quelques grands moulinets vaniteux avec l'arme. Cette épée était faite pour lui, cela était indéniable.

        Se sentant du coup ragaillardi, il s'extirpa de la petite pièce où il avait atterri, épée en main. Ce n'était pas un vol, non ? Après tout, il placerait cette épée au service du roi, et de toute façon, personne ne l'utilisait ici. Laisser rouiller une pareille lame dans les basfonds du château était un véritable sacrilège.

        C'est sur ces réflexions que Émile tourna le coin d'un corridor et se cogna les pieds dans un amas métallique, l'armure royale étendue au centre du passage tel que spécifié par le vieux majordome. Et bien voilà, ce n'était pas si compliqué après tout. Le garde royal rangea sa nouvelle épée porte-bonheur, puis ramassa l'armure. Finalement, cette petite excursion au cœur des caveaux aura été des plus intéressantes. En remontant à l'étage, Émile songea à toutes les aventures palpitantes qui attendaient sa nouvelle lame.

        Et par une mystérieuse circonstance, il n'allait pas tarder à les découvrir.


* Un jour, un paysan en furie venu se plaindre au roi refusa obstinément de quitter la salle d'audience, même sous l'insistance répétée de Émile. On retrouve encore à l'occasion sous les vaisseliers l'une de ses dents.

** Poliment, cela va de soi.

*** Ce qui signifie implicitement que ces cryptes n'ont pas été construites par l'homme. Et cette troublante révélation devrait mettre un terme à vos interrogations.

**** Lorsqu'une ombre nous suit, il est fort à parier qu'il s'agit de la nôtre.

***** Il n'est pas tellement difficile d'imaginer pire qu'une ombre. L'inverse est toutefois un réel défi. 

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now