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Un demi-tour de cadran de la grande aiguille plus tard.

        Étendu dans les ténèbres, le roi vit passer le film de sa vie. Et ce fut d'une telle platitude qu'il s'y endormit à mi-séance. Quelle impolitesse ! On aurait aussi bien pu remplacer le film par quelques portraits, cela aurait diminué les couts de production.

        Tout d'abord il y eut sa naissance sans complication, puis son enfance sans problème, suivit son adolescence sans tracas, et finalement son couronnement sans feux d'artifice*. Le reste de sa vie ne vaut même pas la peine d'être mentionné. Elle se résumait par lever, manger, siéger et coucher. En encore, il s'agissait là des bonnes journées lorsque l'un de ses sujets daignait bien lui rendre visite**.

        C'est ainsi qu'allaient oisivement sa vie et son règne. Une vie commune, pour un être commun. Mais pour un roi, une vie pathétique assurément. Cette vision panoramique sur le déroulement de son existence lui fit voir les choses d'une tout autre façon. Une manière bien moins agréable, bien moins tolérable. Est-ce vraiment ainsi qu'il voulait vivre ? Est-ce vraiment ainsi qu'il voulait être remémoré ? Lambert, le roi qui ne fit rien de mal, rien de bon et rien du tout.

        Cette soudaine révélation fut reçue telle une gifle en plein visage. Une gifle qui lui laissa de honteuses traces de doigts au plus profond de son âme. Une gifle qui le fit reculer d'un pas et basculer sur la base du trône.

        D'ailleurs, où était-il ? Était-il mort ? Était-il trop tard ? Avait-il complètement gâché son existence ? Lambert sentit une terrible angoisse monter de ses entrailles. Mais en même temps, un autre stimulus fit tordre ses boyaux. Une odeur, non, une puanteur monta dans ses narines. Une puanteur telle que pendant un instant, il aurait plutôt espéré être mort. Une puanteur qui donnait envie de s'arracher le nez à main nue, le mettre dans une boite, lancer la boite dans le feu et disperser ses cendres aux quatre vents. Il se releva d'un bon et repoussa de ses membres engourdis la source de cette infâme pestilence. Expulsant l'air de ses poumons jusqu'à en être étourdi, le roi demanda d'une voix ténue.

— Mais quelle est cette horreur ?

— Ma concoction pour la perte de connaissance votre honneur, répondit Jacob avec fierté.

— Allez-vous enterrer avec, repoussa le roi avec une authentique sincérité. Nom de dieux. On devrait être banni de l'existence pour avoir créé une telle chose.

        Jacob regarda le roi avec une expression lourde d'interrogation d'où commençait à perler l'inquiétude.

— Laissez tomber, c'est le coup sur la tête. Probablement, rassura le roi.

        C'est seulement alors que les vapeurs nauséabondes obtempèrent à quitter ses fausses nasales qu'il remarqua son mal de tête. À tâtons, Lambert découvrit la grosse bosse qui lui avait poussé derrière le front***. Cela faisait terriblement mal, mais au moins il était en vie.

        Un tsunami de soulagement balaya son esprit. Il était vivant, et il n'était pas trop tard. Une seconde chance lui était offerte, il pouvait faire quelque chose de sa morne existence. Il pouvait devenir quelqu'un. Il pouvait écrire l'histoire. Il pouvait révolutionner le monde. Mais pour l'instant, il pourrait aller se coucher pour laisser son mal de bloque passer... Que diable NON ! Que s'apprêtait-il à faire encore une fois ? On lui donnait une seconde chance afin de reprendre sa vie en main, et son premier réflexe est d'aller se coucher ? Lambert était maintenant un nouvel homme. Un nouveau roi !

— Théodore, j'ai une mission pour vous !


* Voulant faire cela à son image, Lambert avait demandé une cérémonie toute simple. À 19 h 15 on rangeait déjà la grande salle. Et il fallait faire vite, il y avait un match de crosse à 21 h.

** Les portes du château étaient toujours ouvertes à tous citoyens voulant s'adresser au roi. Mais rares étaient les citoyens qui s'ennuyaient au point de venir tenir la conversation au roi Lambert.

*** Derrière le front signifiait ici de l'autre côté de son crâne. Non pas de l'autre côté de son front à l'intérieur de sa tête. Enfin, vous comprenez...

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now