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Retournant d'une courte période d'absence.

        Étendu au sol, Lambert reprenait doucement conscience. Lorsqu'il rouvrit finalement les yeux, un horrible visage couvert de cicatrices se tenait au-dessus de lui. Et voilà, son chemin s'arrêtait ici. Il venait de trépasser et il se trouvait à présent sous les cryptes de l'enfer. Lambert en fut un peu déçu. À sa connaissance, il avait mené une vie plutôt exemplaire, se tenant loin des vices et nourrissant peu de pensées impures*. L'image d'un bon garçon telle qu'on lui avait enseigné. Bon garçon peut-être, mais était-ce un qualificatif suffisant pour un roi? Peut-être qu'il devait être quelque chose de plus grand, de plus fort ?

        Mais bon, le temps pour se reprendre en main était visiblement révolu. Il ne restait plus qu'à attendre le tison ardent venir lui bruler les chairs. Un abominable rictus déforma le visage démoniaque qui se tenait à présent tout juste au-dessus de son nez. Non, cette vision était trop horrible pour être véritable ! Aucun démon ou être maléfique des sept enfers ne pouvaient former un sourire aussi disgracieux. En l'occurrence, il ne pouvait s'agir que de...

— Est-ce que tout va bien votre majesté ? s'enquit Inigo, le petit maitre d'armes.

— Vos sourcils ! Où sont passés vos sourcils ? questionna le roi légèrement déboussolé.

        Le maitre d'armes porta par réflexe une main à son visage noirci.

— Il faut partir d'ici, c'est dangereux.

        Pour cela, le roi n'avait pas besoin qu'on lui fournisse plus d'arguments. Il fallait quitter les lieux au plus vite, c'était indéniable. Lambert tenta de se relever, mais malencontreusement son corps ne répondait plus. Une seconde tentative de redressement lui confirma ses pires craintes. Le roi était paralysé des épaules aux pieds, seul son coup pouvait encore bouger. Étendu au sol, incapable de mouvements, son sort était jeté. Quadriplégique, c'est ainsi que dieu le punissait pour sa lâcheté. Lui seul aurait dû explorer la grotte. Il s'agissait de sa propre expédition et il devait entièrement en assumer les responsabilités. C'est sur un ton mélodramatique que le roi annonça.

— Partez sans moi Inigo, je suis perdu, mon corps est entièrement paralysé. Ayez un bon souvenir de moi et ne me pleurez pas trop longtemps.

— C'est votre armure, mon roi, diagnostiqua Inigo d'un coup de pied expert dans la ferraille.

        Lambert releva brusquement la tête et observa son état avec un optimiste revigoré. Finalement, tout semblait être en ordre. Il avait simplement fait une vilaine chute de son cheval.

— Bien qu'attendez-vous alors ? Relevez-moi ! commanda le roi étendu au sol.

        Le petit maitre d'armes saisit le bras du roi et tira fermement. Inigo était plutôt costaud, mais il est souvent plus facile de soulever un rocher que le corps d'un homme ramolli**.

— Aidez-vous un peu, supplia Inigo.

— C'est plutôt lourd ce truc, se plaignit encore Lambert. On aurait besoin de l'aide de Émile... Par tous les hasards, est-ce qu'on l'aurait vu... quelque part ?

        Et en parlant du mouton, le grand colosse apparu soudainement dans leurs champs de vision. Il boitait d'une jambe, et portait un genre de sac de patates sur son épaule. Mais sinon il n'avait pas l'air trop mal-en-point. Même que contrairement aux autres misérables qui se relevaient progressivement, il n'avait pas le visage noirci.

— Quelqu'un peut m'aider à me relever ? S'il vous plait ? demanda le roi avec le rituel de circonstance habituel.

        Supporté par Inigo et Émile, Lambert réussit finalement à se remettre sur pieds. C'était une bonne chose que son cheval eut déserté, car il n'aurait pas trouvé la force pour y remonter. Le chef de la garde royale désigna quelques volontaires pour l'aider à marcher*** jusqu'au château.

        Sur le long et pénible chemin du retour, Lambert passa en revue cette récente aventure. Ce n'était certes pas un succès**** absolu, mais au moins personne n'avait subi de graves blessures. Sauf peut-être ce petit voleur de bas étage que Émile trainait encore sur son dos. Ludwig n'avait toujours pas repris connaissance, mais cela était une perte négligeable. En fin de compte, et si on choisissait de porter un regard outrageusement positif, l'aventure s'était plutôt bien déroulée. Lambert songea alors qu'il serait en mesure de réitérer l'exploit. Non, pas un autre dragon, cela allait de soi. Quelque chose qui serait plus à sa hauteur cette fois. Il avait peut-être déjà une autre idée en tête.


* Sans vouloir empiéter dans son intimité, disons que les pensées impures de Lambert allaient quelque fois prendre des marches en amont d'un cours d'eau aux remous étrangement mousseux.

** Et c'est pourquoi aux olympiques on remplaça la levée de corps par la levée d'haltères. Tellement plus élégant.

*** Un déplacement sur une distance horizontale ne résulte pas forcément en une marche. Mais enfin, c'est le roi.

**** Aussi près du succès que peut l'être l'eau du vin. Du moins, lorsqu'il n'y a pas de force divine dans les présages. 

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteDonde viven las historias. Descúbrelo ahora