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Deuxième journée, le diner tout juste digéré.

        Dix-Doigts gravit l'arbre aussi facilement que s'il s'agissait d'une échelle, ou même d'un ascenseur si l'on pouvait se permettre l'anachronisme. Ses pieds nus s'agrippèrent à l'écorce avec l'agilité de petites mains griffues. Et à voir l'épaisse couche de crasse qui couvrait la plante de ses petons, on devinait que leur utilisation était plus que fréquente.

        Arrivé à la cime, il emprunta une branche horizontale et s'y installa confortablement. Par chance pour la branche qui le supportait, Ludwig (ou Dix-Doigts de son surnom) était de fine stature. Il était si petit et léger qu'il arrivait par conséquent à grimper aux murs et même parfois, à se tenir au plafond.

        Ludwig avait décidé que cette fine stature, qui pour la plupart se serait avérée un handicap, serait en fait sa plus grande force. Au cours de sa tumultueuse jeunesse, d'autres personnes l'incitèrent aussi à prendre cette décision. En fait, tout enfant ayant un petit débordement d'agressivité à évacuer sur plus petit que soi, était pour Ludwig une incitation suffisante au perfectionnement de ses talents de grimpeur.

        En plus d'être un bon grimpeur, Ludwig se trouva une autre disposition naturelle. Il possédait une dextérité manuelle hors du commun. Dix-Doigts était la seule personne au monde étant capable de lever l'annulaire* sans que ses trois petits frères se tordent en tous les sens. Cette flexibilité tactile d'apparence anodine lui était en fait d'une grande utilité. Utile par exemple pour ouvrir les portes sans en posséder les clés, ou utile pour débarrasser quelqu'un de sa bourse sans le chatouiller.

         Ludwig avait appris de lui-même à tirer avantage de toutes ces petites choses dont la vie lui avait fait don. Et le dernier de ces cadeaux, était une absence totale de remord et de conscience sociale. Il pouvait ainsi chiper le maigre sac de friandises du pauvre orphelin et la bague de fiançailles de la veuve affligée, toute en gardant le sourire.

         Ludwig était un homme heureux qui n'avait pas honte de son travail. Confortablement installé sur cette branche en haute altitude**, il sortit sereinement une poche de tabac. Voilà un repos bien mérité après une dure journée de labeur. Il n'aimait pas que les gens le jugent comme étant paresseux et fainéant. Ces personnes n'avaient aucune idée de l'énergie qu'il pouvait mettre à se sauver d'une bande de fermiers enragés armés de faux***.

        Mais Ludwig n'avait pas toujours été aussi habile. Il avait à plus d'une reprise visité les cachots du château. Non pas que ce fut des expériences très pénibles, mais on lui interdisait toujours de fumer à l'intérieur. Interdiction qui poussait immanquablement Dix-Doigts à en sortir au plus vite.

        C'est sur ces réflexions, qu'une secousse fit vibrer l'arbre sur lequel il se perchait.


* Je parie que vous venez de mettre vos doigts à l'épreuve en les tordants dans tous les sens et que vous avez abandonné après quelques essaient burlesques.

** Dix-Doigts avait pris habitude de se reposer en haute altitude. Là où les pierres ne l'atteignaient pas.

*** Il est fou comme un outil aussi grotesque qu'une faux peut se transformer en arme meurtrière entre les mains du paysan qui a l'habitude de défricher plus d'un hectare par jour.

Chroniques Frivoles d'un Royaume ModesteWhere stories live. Discover now