Le château - Partie 4

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Les jeunes femmes entrèrent dans un petit salon. Sur le mur qui leur faisait face, un énorme tableau représentant un très jeune couple occupait tout l'espace. La jeune fille devait avoir quatorze ans, quinze tout au plus. Le garçon était à peine plus vieux, peut-être dix-sept ans. Pourtant le tableau ne laissait aucun doute sur leur relation : les jeunes gens joignaient leurs mains dans une position laissant clairement apparaître leurs bagues : l'anneau de fiançailles de la demoiselle, la chevalière du damoiseau, et leurs alliances. Le décor montrait un domaine qui n'avait rien à voir avec le château dans lequel elles se trouvaient.

"Je te présente Madeleine de la Chesnaie et Robert Saint-Lop, trois mois après leur mariage. Madeleine sera plus tard la maîtresse de ces lieux, Robert sera bientôt un cadavre.
— Bientôt dans six mois ou bientôt dans quelques années ?
— Trois ans.
— Et c'est à cause de ce veuvage précoce que tu estimes que le père de Madeleine s'est mal débrouillé pour la marier ?
— Oh non, il n'avait aucune chance de deviner ça. Le pauvre Robert est mal tombé lors d'une partie de chasse, ce n'était pas un décès prévisible. En revanche, Monsieur de la Chesnaie a beaucoup trop surestimé les probabilités que Robert devienne un jour l'héritier du domaine familial qui est représenté sur ce tableau. D'ailleurs la chevalière que tu vois à son index, il ne l'a probablement jamais eu.
— Tu n'en viendras jamais au fait, c'est ça ?
— Ne me pousse pas ! L'enrobage fait toute la saveur de cette histoire. Écoute et profite.
— Conte donc.
— Merci. Robert était le troisième et dernier fils de la famille Saint-Lop, famille très, mais alors très, aisée du sud de la France. Au moment où Monsieur de la Chesnaie cherchait à marier sa seconde fille, Madeleine donc, il y avait de bien plus beaux partis intéressés. Mais Monsieur avait de très hautes ambitions, et tous ces beaux partis étaient bien en dessous de ce qu'il visait pour sa famille. Et en faisant enquêter sur les aînés de Robert, il a estimé que le petit avait de forte chances d'hériter du domaine et titre familial sous peu. S'il avait eu raison, ça aurait fait de Robert un plus beau parti que tous les autres prétendants de Madeleine.
Et là tu me dis : Qu'est-ce qu'il a bien pu trouver qui lui ait donné cette impression ?
— Qu'a-t-il trouvé pour avoir cette impression, Aurore ?
— Et bien ses hommes sur place ont découvert que Donatien, l'aîné de la famille, n'avait pas fait d'enfant à son épouse en dix ans de mariage. La rumeur locale ne lui prêtait aucun bâtard non plus, ce que Monsieur de la Chesnaie pensa être une preuve de la stérilité de l'héritier.
— Ça fait gagner quelques places à Robert, mais il y a encore un frère et ses éventuels rejetons devant lui.
— Le deuxième frère, Jocelyn, était souffrant depuis des années. A dix-neuf ans, il était alité la plupart du temps et ne se quittait que rarement sa chambre. A chacune de ses apparitions publiques, le jeune homme paraissait plus diminué. On pensait qu'il ne vivrait pas bien vieux. Et fort logiquement, il n'était pas encore marié.
— Mais du coup, pourquoi n'a-t-il pas essayer de marier Madeleine à Jocelyn plutôt qu'à Robert ?
— Jocelyn n'était pas sur le marché des épousailles. Et puis s'il était mort avant d'avoir engrossé Madeleine, l'héritage revenait à Robert.
— Oh.
— Donc Madeleine et Robert se marièrent, et les choses se passèrent plutôt bien. Les jeunes épousés avaient pas mal de point commun. La faible différence d'âge, par exemple, a du aider pas mal.
Et puis un an après le mariage, premier coup dur pour Monsieur de la Chesnaie : L'épouse de Donatien est enceinte.

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