Planète G069 - Partie 10 (fin)

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Journal de bord du commandant Sendarson, cent cinquante-troisième jour standard.

Note : Cette entrée est précédée d'un avertissement signalant que suite à l'indisponibilité du commandant Sendarson le journal est désormais renseigné par la commandante en second Marmela, qui a également pris en charge les autres fonctions du commandant.

Nous avons quitté G069 ce matin.

J'ignore encore les détails de ce qui s'est passé. Le commandant Sendarson a commencé à présenter des troubles du comportement il y a une semaine environ, suite à son entretien avec la dirigeante de cette planète, et son journal semble avoir été utilisé en continu depuis lors. J'ai essayé de le lire pour comprendre son état d'esprit durant cette période mais toutes les entrées que j'ai consulté pour le moment sont incompréhensibles.

Voici ce que j'ai compris des évènements des derniers jours. Mes explications sont basées sur ce dont j'ai été témoin direct, ce qui m'a été rapporté et des explications culturelles et biologiques fournies par le délégué Sussossarien.

Au soir du cent quarante septième jour standard le commandant, les autres officiers du vaisseau et moi-même avons formé une délégation chargée de représenter l'Alliance Intergalactique auprès de la dirigeante locale, qui porte le titre de Reine et a un statut proche de la divinité pour ses sujets. Nous avions été informés que la structure matriarcale de la société sussossarienne ne permettait pas aux mâles de s'adresser à la Reine, ce qui a conduit l'équipage à me placer à la tête de la délégation.

Le détail de la rencontre officielle se trouve dans le rapport 147-JO-0004, je ne reviendrais pas sur le déroulé exact des évènements. Le commandant Sendarson a semble-t-il trouvé la Reine a son goût et a fait preuve de son habituelle appréciation ostentatoire, en silence. Son comportement semblait rendre la garde saussarienne nerveuse, mais il n'y eu pas d'incident notable avant la fin de la rencontre. A l'heure des salutations rituelles, le commandant a jugé opportun de prendre la parole et de s'adresser directement à la Reine dans une invective vulgaire suggérant des rapports sexuels (voir rapport d'incident 147-IR-0157). Devant la réaction de la garde royale, j'ai préféré faire battre en retraite l'ensemble de la délégation et rejoindre le vaisseau en urgence. Il m'a fallu traîner de force le commandant hors de la salle du trône.

Dès notre retour, le commandant Sendarson s'est cloîtré dans ses quartiers. Le reste de l'équipage et moi-même n'y avons rien vu d'inhabituel dans un premier temps. Il est courant qu'il agisse de cette façon lorsqu'une femme ou femelle attire son attention. Au bout de deux jours, cependant, la durée excessive de sa retraite et l'inquiétude manifeste du délégué sussossarien m'ont poussée à tenter d'entrer en contact avec le commandant. Son attitude lors de cette tentative (voir rapport d'incident 149-IR-0025) nous a permis de constater la dégradation de son état mental. Je me suis alors retournée vers le délégué sussossarien et l'ai prié de bien vouloir expliciter ses inquiétudes. Après quelques quiproquo, il m'a expliqué ce qui suit.

Contrairement à ce que nous avions cru, les différences biologiques entre les sussossarien'nes et les humain'es sont bien plus profondes que les simples variations esthétiques évidentes. Et deux de ces différences semblent liées à l'état actuel du commandant.

La première est que la caste dominante de la société sussossarienne a obtenu son statut grâce à un avantage génétique : ses membres ont un contrôle (plus ou moins précis selon les individus) de leur phéromones qui permet aux plus puissants de placer leurs interlocuteurs dans un état de suggestion hypnotique. Le titre de Reine n'est pas héréditaire ou électif mais revient à la femelle la plus méritante, un des critères étant sa maîtrise de cette capacité. Il semble que la Reine actuelle en ai usé pour créer chez le commandant un état dépassant de loin son infatuation habituelle et ait profité de cet état pour l'approcher sans risque.

L'autre différence explique le matriarcat omniprésent de la société sussossarienne. Les glandes présentes sur la poitrine des femelles ne sont pas, comme chez les mammifères, des glandes mammaires. Il s'agit de glandes venimeuses, complétées par des poches destinées à stocker le venin produit pour un usage ultérieur. De plus, la toxicité du venin produit est variable et peut être modifiée par la prise de médication. La toxicité naturelle du venin et la façon dont il répond aux médications sont deux autres critères majeurs dans le choix de la nouvelle Reine.

Le délégué m'a également informé que la Reine avait débuté une cure rituelle d'exécution suite à l'incident, cure incluant la prise des médications évoquées plus haut.

Une fois en possession de ces informations, j'ai décrété l'état d'urgence sur le vaisseau et réquisitionné l'ingénieure Hirdan afin de trouver un moyen de le faire décoller. Malgré ses grandes capacités et ses efforts admirables, celle-ci n'a pas été en mesure d'outrepasser les commandes privées installées dans les quartiers privés du commandant, faute de matériel adapté (voir rapport 150-TC-0003).

Dans la nuit du cent-cinquante-et-unième au cent-cinquante-deuxième jour standard, à une heure inconnue, une faille de sécurité a permis à la Reine de s'introduire à notre bord et dans les quartiers privés du commandant. Mme Lordin, en venant relever le quart de Mme Zon devant la porte du commandant, a trouvé cette dernière inconsciente et la portes des quartiers privés grande ouverte. A l'intérieur se trouvait le commandant Sendarson, blessé, en sueur et délirant. L'équipage a tenté de le déplacer vers l'infirmerie de bord mais le commandant a opposé une résistance telle que le médecin de bord, Docteur Semba, a estimé dangereux d'insister. Elle a préféré installer du matériel et une garde dans sa chambre et y prodiguer les soins nécessaires. A l'heure où je rédige cette entrée elle travaille encore à l'analyse toxicologique du sang du commandant.

Mme Zon a repris conscience et est en parfaite santé, mais n'a aucun souvenir de la nuit.

La faille de sécurité dont je parlais précédemment inclus une défaillance du système de vidéosurveillance du vaisseau, cependant l'équipe de Mme Lordin a découvert une caméra cachée déclenchée par un détecteur de mouvements dans la chambre du commandant. Un fichier mal daté y montre une sussossarienne en uniforme militaire noir pouvant être la Reine pousser sans ménagement le commandant sur le lit, se pencher vers lui tous crocs dehors et partir.

Dès l'annonce de l'intrusion, j'ai pris contact avec le délégué sussossarien qui m'a confirmé que la Reine avait faussé compagnie à son personnel durant la nuit. Quand je l'ai informé de l'état du commandant, il a affirmé que la Reine n'avait administré qu'une faible dose de son venin. Qu'elle avait sans doute l'intention de le faire souffrir pour son offense avant de l'achever.

Je lui ai demandé s'il existait un antidote à ce venin, il m'a affirmé ne pas en connaître.

A la lumière de ces éléments, j'ai pris la décision de faire décoller le vaisseau au plus vite afin d'éloigner le commandant Sendarson de la menace pesant sur sa vie.  J'espère avoir fait le bon choix.

Fin de l'entrée.

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