vingt-neuf

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Il entendit ma requête et me promit qu'il la respecterait en un signe de tête rassurant. J'en avais totalement oublié à propos de quoi était mon exercice, je rassemblais mon audace et le plus d'éloquence possible alors que même les muscles de ma mâchoire tremblaient pour cause d'être trop contractés.

Incapable d'organiser correctement mes mots de sorte à décrypter intelligible le boucan qu'avait envie d'hurler mon esprit tout entier, je le voyais en face de moi. Les coudes posés sur la table, les mains jointes entres elles servant de support pour son menton ciselé. Il ne souriait pas. Mais ne se renfrognait pas non plus. Il attendait, patiemment, me laissait le temps nécessaire, écoutant mes divers sons de réflexion comme mes soupirs pensifs ou mes tentatives de jurons. Il regardait mes pupilles voyager à travers la pièce vaste, il regardait mes lèvres se distordre attentivement.

Mais il ne faisait aucun commentaire.
C'était à cet instant que je me sentis prêt à parler.

Je joignis mes mains et, à sa même façon, posai mon menton dessus.

-Quand tu m'as raccompagné chez moi et qu'on s'est salués, elle était à la fenêtre. Quand je suis rentré, elle a fait semblant de ne pas t'avoir reconnu et m'a demandé qui tu étais. Je ne voulais pas d'histoires alors je lui ai juste dit qu'on était binômes de travail, puisque le reste ne la concernait pas.

Il acquiesça, commençant à marteler le sol du talon sous l'impatience de connaître la continuation du récit. Je reprenais un souffle régulier, n'imaginant même pas l'appréhension qu'il devait ressentir. Il devait être encore plus terrifié que moi de ce qu'il allait pouvoir entendre et il était probable que ce soit au delà de ses pressentiments.

-J'ai remarqué tout de suite que quelque chose la dérangeait dans le fait qu'on soit souvent tous les deux. Je l'ai su quand elle a inventé une excuse stupide, comme quoi tu avais une mauvaise influence sur moi et que tu risquais de devenir violent avec moi en voyant ce que tu as été capable d'infliger à Mark.

Sa mâchoire se serra et ses mains liées également, passant de sous son menton à devant sa bouche. Il commençait à comprendre là où je voulais en venir et j'aurais adoré qu'il conclue lui-même sans que je n'aie à le faire. Mais il était bien trop fidèle à ses promesses alors il ne disait rien.

-Puis j'ai compris de quoi il s'agissait; j'étais... j'y croyais pas. Je voulais voir jusqu'où elle irait dans sa comédie en n'assumant pas sa... vraie intolérance. Alors je l'ai poussée à bout en justifiant que c'était stupide de penser que tu m'aurais défendu pour me frapper ensuite. Qu'elle te catégorisait comme quelqu'un de violent en ne t'ayant vu qu'une fois, et je lui ai fait comprendre que c'était moche de faire ça alors que toute mon enfance, elle m'a appris à ne pas juger qui que ce soit sans le connaître.

Il avait la même manie que moi lorsque j'écoutais quelque chose d'inquiétant mais de trop captivant pour en détourner mon attention. Il se mordait l'intérieur des joues, peut-être pas jusqu'à sang comme cela m'arrivait de le faire. Je l'espérais.

-Et elle lâchait pas l'affaire, à essayer de me faire croire qu'elle s'inquiétait pour ma sécurité alors que rien qu'à sa façon de dire "lui"... Même un gosse aurait pu comprendre que c'était pas vraiment ma sécurité le problème... Elle m'a écœuré.

Cette fois, je marquai un temps de pause plus prolongé, j'avais besoin de calmer la panique saisissant mon cœur petit à petit. Pris d'une démangeaison mineure au creux de mon œil, je les fis cligner une fois ou deux avant de faire tournoyer mes pupilles et fis rencontrer par inadvertance nos regards.

-Son problème alors, c'est que tu soies avec...

-Un homme. terminai-je, éprouvant le besoin de prononcer ce mot, remarquant ses dents saisir sa lèvre inférieure. Et j'ai dû lui faire admettre que si j'avais séché, menti, fumé, changé à cause d'une fille, ça ne l'aurait pas autant fait chier, et elle ne m'aurait jamais fait un cinéma pareil... Elle était sous le choc, clouée sur place.

Il se mordait la lèvre sans vergogne, ses traits se tendant sous une amertume certaine alors qu'il peinait à garder un contact visuel avec moi. La culpabilité se peignait sur son visage et, récupérant ce mépris pour cet être ignoble qu'était ma mère, je lui conjurais du regard de ne pas se sentir désolé, que ça n'aurait tenu qu'à moi de me rapprocher d'une fille si je le voulais. Que mes fréquentations ne concernaient que moi, que c'était lui que je voulais à mes côtés et non une fille, alors je l'interdisais de se sentir désolé.

-Comment ça s'est terminé? demanda-t-il, emprunt d'une fausse assurance.

-Je voulais en finir avec cette histoire. C'était peut-être pas la meilleure façon de... d'annoncer ça mais c'est quelque chose que j'ai accepté depuis... Quelques temps et puis... J-je voulais que ça l'impacte alors je lui ai tout dit. je marquai quelques secondes de silence, déglutissant difficilement. Que c'est trop tard pour s'en inquiéter, maintenant. Qu-Qu'elle le veuille ou non, il n'y aurait jamais de... De femme.

C'était terminé. On y était. Le poids du secret s'était volatilisé mais avait cédé sa place à un autre, encore plus écrasant. Ces larmes de panique menaçaient de couler, et je baissais la tête, un air faussement stoïque qui n'osait pas recontrer le sien. Non pas parce que je jouais la comédie mais bien parce que je ne savais pas quelle émotion dépeindre, ces dernières se confrontant toutes à forces égales au sein de mon cœur.

Il ne disait pas un seul mot et j'étais même certain qu'il n'arborait pas la moindre expression non plus, si ce n'est un mépris certain ou même un air interrogatif, le temps d'assimiler. Ça ne me rassurait pas.

Mais je devais m'y attendre, de toute façon.

Le silence s'installa et lentement, je fermai mon cahier. Il inspira, expira et ce n'était même pas un soupir.

-Jaemin-ah. m'appela-t-il sur un ton posé, calme, si réconfortant. Regarde moi.

Putain de cœur. Pourquoi faire frissonner mon être tout entier à l'entente de sa voix à lui?
Je lui obéis. Encore.
Il était détendu, ou faisait de son mieux pour paraître rassurant; j'appréciais cette attention, ça me touchait. Mais c'en était de trop pour moi

Il fallait que je m'en aille.

-Ce n'est pas

-Interprète ça comme tu veux, je dois rentrer. l'interrompis-je en me levant brusquement.

Avec uniquement mon sac presque vide sur l'épaule, ayant laissé le reste sur la table, je me mis à marcher vers la porte au pas de course. Je l'ouvris, et j'y étais presque; une fois dehors, je pourrais extérioriser tout ce que j'ai contenu en moi et je pourrais courir.

Mais je n'y suis jamais parvenu.

C'était allé vite. Trois sons.

Sa chaise qui tomba.

Mon coude qui craqua à la traction de sa main.

Le bruit sourd de mon dos rencontrant le mur.

Et j'étais piégé, la tête entre le mur et son visage beaucoup, beaucoup trop près du mien. Mes épaules étaient immobilisées et mes iris tremblaient, se rétractaient au profit de mes pupilles qui se dilataient, face à son visage ciselé, transpercé par ses iris uniques. Sans aucune violence ni brutalité.

Je devais partir mais je ne le pouvais plus. Je ne savais même plus si je le voulais réellement. C'était lâche, mais nécessaire.

Il respirait calmement, mon cœur faisait trop de bruit pour que je puisse entendre le sien mais l'intérieur de mon corps était affolé. Et l'air tiède qu'il expirait effleurait ma peau.
Je me demandais s'il ressentait la même chose.

J'avais envie de le pousser, écraser sur son torse mes pleines mains et l'éloigner de moi, m'assurer de ne plus ressentir autant de choses honteuses à son contact.

Nous devions faire sensiblement la même taille, tout compte fait, peut-être était-il à peine plus grand.

Pourtant, je restais de glace extérieurement, stoïque, l'affrontant même du regard par moments. Quel bon acteur j'étais.

-Ne pars pas. souffla-t-il, ses yeux se fermant lentement. Tu n'as pas besoin de fuir qui tu es, pas face à moi.

Se serra ma gorge d'une joie qui manqua de peu de faire encore s'écouler mes larmes.

Mais qui ne manqua pas de faire laisser tomber mon front sur son épaule, et sur sa jumelle, de se poser ma main. Et son bras se glissa derrière mon dos dans une douce souffrance finale.

Last Row || nominOù les histoires vivent. Découvrez maintenant