treize

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A cet instant, je n'étais qu'un ramassis d'incompréhension, de questions et d'idées inachevées.

Le sang cognait d'euphorie contre ma plaie sur le point d'éclater, me suppliant d'arrêter de trop penser à ce que je venais de vivre, d'essayer de comprendre ce qui m'arrivait. Il n'y avait pas d'explication logique et mon cerveau l'avait compris mais ça foirait quelque part, parce qu'une partie de moi refusait de l'admettre.

Mark revenait Mardi prochain et je ne savais pas à quoi m'attendre. J'étais convaincu qu'il continuera de faire comme s'il n'existait pas, par crainte cette fois, et lui de se rendre invisible. "Le garçon du fond de la classe, sans histoire, auquel personne ne faisait attention". Même si aujourd'hui, plus personne ne l'ignorait depuis ce jour.Il ne changeait pas son comportement indifférent pour autant, il vivait comme s'il était toujours invisible.

On s'est vus pendant les heures de libres à la bibliothèque, sans aucun dialogue ou échange quel qu'il soit. Un contrat silencieux s'était naturellement fait. Réticents à l'idée de devoir coopérer, on s'est tus de notre propre initiative, agissant comme si nous étions seuls. Ça me convenait au début mais au fil du temps, il m'arrivait d'avoir envie de lui proposer mon aide en le voyant bloquer trop longtemps sur quelque chose. Ou bien d'hésiter à lui demander, lorsque j'allais me chercher une boisson, s'il voulait que je lui ramène quelque chose. Mais au lycée, nous étions des inconnus amenés à coopérer sous la décision d'un professeur.

Inconnus. Ce terme me faisait presque mal.

J'étais légèrement plus tête en l'air en classe et parfois mes prises de notes étaient un peu plus désordonnées et confuses. Donghyuck s'était excusé auprès de moi au nom de Mark et m'avait parlé du message que je lui avais demandé de lui faire passer; il en était heureux.

Jeno était venu chez moi Mercredi après-midi dans une vague silence. Nous étions descendus au même arrêt, il marchait loin derrière moi et regardait le sol chaque fois que je me retournais. Il évitait de recréer les événements de Lundi soir. Marcher ensemble, s'échanger quelques mots, plaisanter... On s'était assis face à face, avons sortis nos affaires sans un regard, commencé à travailler. Sans un mot, les exercices s'enchaînaient, les minutes filaient par dizaines.

Ça faisait là trois feuilles de brouillon qu'il froissait et envoyait sur le côté après les avoir remplies de calculs ne menant à rien. La tête à peine relevée mais les iris dirigées vers lui, je le voyais sur le point d'exploser de frustration.

-Un souci?  me préoccupai-je, incapable de le laisser s'énerver alors que j'avais une chance de pouvoir l'éclairer.

Il pianota brièvement sur le bois de la table, respirait fort, faisant encore semblant de réfléchir sur son exercice.

-Calcul d'intervalle de fluctuation... abandonna-t-il.

J'avalai ma salive, mon sang cognait à mon front. C'était quelque chose que je maîtrisais.

-Est-ce que... Tu veux que je t'explique? hésitai-je à demander.

Il leva les yeux vers moi, me regarda d'une façon que je ne saurai interpréter avant de baisser de nouveau la tête en soupirant avec résignation.

-Je veux bien.. céda-t-il dans un soupir.

Après lui avoir silencieusement demandé si je pouvais venir m'asseoir à ses côtés, je me levai. Je m'assis à sa gauche et il fit glisser son cahier un peu plus vers moi. Je compris immédiatement son problème, le lui expliquant le plus professionnellement possible en tentant de ne pas me laisser décontenancer par les petits dessins qu'il a fait aux coins de ses pages, par ses mains larges et blessées se trouvant près des miennes, ou bien son odeur masculine de liberté, mais certainement pas de cigarette. Le plus important étant qu'il écoute attentivement ce que je lui disais, et il avait l'air de bien comprendre.

-Tu peux rentrer la formule dans ta calculatrice aussi, regarde, il y avait une erreur de parenthèses, c'est pour ça que tu trouvais 29 au lieu de 20. Si je prends bien la parenthèse en compte, on devrait avoir...Voilà!

La machine afficha le bon résultat et je venais de remarquer qu'étant tous les deux penchés au-dessus d'elle, nos deux épaules s'étaient aimantées ensemble.

-Merci. me dit-il pendant que je retournais à ma place initiale.

En silence, on continuait chacun notre travail de notre côté. Mais une immense soif me saisit et je reculai ma chaise pour me lever.

-Je te sers quelque chose? demandai-je en m'appuyant sur la table d'une main.

Il déglutissait difficilement depuis quelques minutes. Il avait soif aussi.

-Euh, oui s'te plaît. avoua-t-il

Je partis vers la cuisine et ouvris le réfrigérateur.

-Alors, J'ai de l'eau, du jus d'orange et... à peu près tous les sirops qui existent. révélai-je en riant.

Il choisit de la pêche tandis que je me servis mon sirop préféré, celui à la fraise sauvage. Il me remercia puis avala une gorgée tout en reprenant ses révisions d'anglais pour le contrôle d'oral la semaine prochaine.

-J'en buvais tout le temps quand j'étais petit. sourit-il tristement en fixant le verre qu'il gardait en main. Tu les doses exactement comme le faisait ma mère...

-Tu n'en a pas bu depuis ce temps? demandai-je distraitement en révisant la même chose que lui.

Son sourire mourut, cette noirceur triste regagna ses yeux et il secoua timidement la tête sans quitter le fluide orangé des yeux. Puis il le but dans son intégralité d'une traite.

-Mais c'était très bon. affirma-t-il en faussant misérablement un sourire.

Ses yeux se teintaient de rouge, sa mâchoire se serrait, sa tête se baissa vers ses cahiers.

-Ça n'a pas l'air d'aller... Tu as besoin de parler?

-Il faudrait qu'on se fasse réciter l'anglais ce week-end. esquiva-t-il, sans pouvoir masquer sa voix se briser.

Je n'insistai pas, mais je voulais qu'il sache qu'il n'était pas seul. Peut-être qu'il ne me connaissait pas assez pour être à l'aise mais je pouvais l'écouter.

-Oui bonne idée. Et puis, si t'as besoin...

Il hocha la tête de nouveau, les lèvres pincées entre elles, tout en reprenant ses révisions. Il rentra chez lui peu de temps après et ce fut à ce moment que j'ai commencé à m'inquiéter pour ce garçon qui enfermait beaucoup plus de secrets que ce que le monde imaginait.

Last Row || nominWhere stories live. Discover now