vingt

2.7K 337 130
                                    

-Un loup? Mais qu'est-ce que tu racontes...

Les quelques yeux studieux s'étaient dirigés vers nous, mais ils avaient tous trop peur d'intervenir, à cause de l'homme qui me faisait face. Il était à bout de souffle, capitula après cet élan de rage qui me fit taire sur-le-champ et même si ça me tuait de l'admettre; il avait ce pouvoir-là sur moi.
Ses épaules larges, ses traits raides, son regard dur, se détendirent progressivement. Je fermais mon sac lorsqu'il fit le tour de la table d'un pas décidé. Après avoir jeté un coup d'œil alentour, il me perça de nouveau du regard.

-Suis moi.

Il n'était pas aussi détendu, sa main de fer entoura mon avant-bras d'une poigne démesurée. Il m'entraîna à sa suite hors de la salle. Puis le long des couloirs déserts ou seuls résonnait le son de nos chaussures. Devant moi, lui qui me tirait à sa suite, refusant catégoriquement de me dire où est-ce qu'il m'emmenait et moi, qui le suivais docilement, n'osant catégoriquement pas le lui demander.
Il nous fit sortir par une porte secondaire; celle que personne n'emprunte, sûrement pour passer inaperçus et nous voilà à l'extérieur du lycée. Mon avant-bras me faisait mal, le sang absent fourmillait au bout de mes doigts. Nous avions maintenant atteint l'arrêt de bus, et la panique pulsait dans tout mon corps.

-Attends, il reste des cours, on peut pas...

Mais avant que je n'aie eu le temps de finir ma phrase, nous étions tous les deux déjà assis tout au fond du bus. Ce dernier avait déjà démarré. Je séchais les cours à cause de lui, je les séchais avec lui; c'était à la fois tétanisant et terriblement excitant. Sa main ne voulait pas quitter mon avant-bras, bien qu'assis et ça faisait mal, il avait vraiment une poigne de fer, à tel point que je ne sentais plus mes doigts.

-J-Jeno...  Un peu moins fort, s'il te plaît...

Ses doigts se desserrèrent, tenant calmement mon bras. Avec le relâchement, au fil des secousses du véhicule, je sentais ses doigts glisser progressivement le long de mon avant-bras. Il regardait par la fenêtre, un air rêveur sur le visage lorsqu'à l'issue de nombreuses minutes, sa main descendit jusqu'à mon poignet pour atteindre ma main.

Les minutes passaient, il ne se rendait compte de rien et je n'osais pas le lui faire remarquer. Pour être honnête, je n'osais dire mot; le laissant donc revoir ses souvenirs douloureux en resserrant parfois son emprise sur mes phalanges saines entre ses doigts blessés. L'adrénaline montait alors que je réalisai que les cours avaient repris depuis quelques minutes.

Tant pis, il ne m'aurait pas fait manquer de cours si ce n'était pas important alors j'allais me taire et écouter ce qu'il aura à me dire une fois à destination.

Nous avions quitté la ville, et j'étais inquiet pour ma mère lorsqu'elle apprendra que j'avais disparu du lycée; mais il était trop tôt pour m'en soucier car à l'instant rien ne me préoccupait plus que ce qu'il avait en tête en ce moment.

Il s'efforçait de garder la tête dans le sens opposé de sorte à ce que je ne puisse voir son visage et malgré le moteur du bus, je l'entendais mal respirer. Je ne disais rien, me concentrant sur la friction de ses bandages sur ma peau. Ne s'en rendait-il donc pas compte? Il devait réellement être perdu dans ses pensées, parce qu'il aurait dû remarquer depuis un moment, en dépit de mes doigts qui remuaient à peine contre sa paume qui n'avait rien de doux. Si je décrivais un mouvement trop soudain, sa réaction serait imprévisible mais j'avais encore plus peur qu'il me lâche. Immobile.

Plus d'une heure plus tard, il se leva et m'entraîna à sa suite pour laisser derrière nous le bus qui repartit sans demander son reste; un arrêt après celui auquel je descendais habituellement. Il avait tourné la tête vers moi, vérifiant que je le suive encore mais n'avait pas tiqué à la vue de nos mains. Il n'y avait pas un bruit, excepté le bruissement des arbres, le vent dans la végétation.

Last Row || nominWhere stories live. Discover now