Chapitre n°51 : Epreuve cinq (part 1)

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Un regard avec Ethan. On se précipite, empoigne chacun un fusil d'assaut et se rue vers la ville.

Je cours le plus vite possible, avec le désir impérieux de m'enfuir le plus loin possible de Diego. De m'enfoncer dans la ville, de m'y perdre, de m'y cacher pour ne plus jamais qu'il me retrouve. J'ai envie de disparaître. Je cours comme je fuis, je sprint comme je détale, avec l'unique espoir de tout donner, de tout déverser. Comme si la haine, la peur, la souffrance, était un résidu coincé dans mes muscles et que le sport aiderait à faire évaporer. Je m'engouffre dans un centre commercial délabré, saute parmi les étagères renversées, les vitrines brisées, ignorant la poussière que je soulève, les morceaux de verre que j'écrase sous mes pas. Je ressors par une autre entrée, escalade une grille, et me retrouve dans un parc abandonné, où les installations en ruine sont recouvertes de lierre. Des herbes folles s'étendent çà et là, s'agitant doucement dans le vent. Je ne m'en préoccupe pas et reprends ma course. Je ne suis pas assez loin. Je ne suis pas assez rompue. Et pourtant je n'ai plus de souffle, plus de poumons. Mon cœur me brûle, mes os me lancent, mes muscles tirent. Mais ma tête ne ressent pas la douleur comme elle devrait. Alors je continue. Je continue dans les rues sans vie, aux odeurs de poussière de plâtre et de béton. Je continue dans les ruelles effrayantes, aux ombres noires tristes. Je continue jusqu'à me tordre en deux sur le côté de la voie pour vomir. Mon corps se tords en deux sous la nausée, et je rejette tout. Je vomis mort et souffrance, douleur, haine et peur.

Ma main tremblante attrape ma gourde d'eau et je me rince la bouche activement. J'attrape un bonbon à la menthe dans ma poche de sac à dos et le glisse entre mes lèvres. L'odeur mentholée de la gourmandise qui fond en pétillant sur ma langue me rassure et me calme.

Une main se pose sur mon épaule, remplie de compassion et de soutient. Je sais ce qu'il me reste à faire. Diminuer mon champ de penser. Se concentrer sur le présent, le matériel, uniquement.

-On y va ? Demandais-je d'une voix sèche, les yeux fixés sur les buildings éventrés en face de moi.

-Dès que tu es prête.

Une inspiration. Sur deux, trois, quatre. Une deuxième pour ne pas étouffer.

-Je suis prête.

Ethan se détache et prends sur la droite, coupant à travers le jardin de métal tordu et d'herbes folles. Je le suis, laissant mes yeux glisser sur ce paysage que la destruction a rendu sauvage. Est-ce que la destruction peut rendre les choses plus belles ? Je lève les yeux vers Ethan qui m'attends un peu plus loin. Il y a une lueur brûlante dans ses yeux. Je détourne le regard pour observer le monde autour de moi. J'ai l'impression de me retrouver à l'intérieur de ma tête. Dans une ancienne métropole dévastée, bombardée, inondée et pourtant qui recèle une ombre de beauté dans sa noirceur. Un léger sourire vient étirer mes lèvres. Cette ville est une métaphore de moi-même. La représentation de ma vie, un oxymore personnifié. Je suis perdue dans les décombres de mon esprit, et face à moi, cherchant à saisir mes pensées se tiens Ethan, qui m'attends pour venir explorer les profondeurs recluses de mon âme que la destruction a rendu sauvage.

Alors j'arrête. Je renverse la tête en arrière, les yeux fermés. Respire comme pour la première fois, serre le poing en jetant un regard de défi au monde qui m'entoure, et me prépare à m'affronter.

Deux heures que l'on marche, dans le calme. Je suis silencieuse. J'observe. J'analyse. Ethan utilise des techniques de déplacement que je connais et qu'il m'est facile de copier. Il préfère se glisser dans les devantures des immeubles éventrés, au milieu des débris de béton, qu'en pleine rue à découvert. Ses mouvements sont agiles, méthodiques, ses coups d'œil rapide et sûrs. Il sait exactement où il va. Ce qu'il fait. Il sait parfaitement contrôler cette partie de lui-même. Parfois il s'arrête, écoute, me demande de me cacher, attends une poignée de minutes avant de repartir. Il me mène droit vers la région ouest de la ville, au bord de l'eau.

Expérience 21Où les histoires vivent. Découvrez maintenant