Chapitre n°7 : Victoire

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Ils me conduisent à un mur, à l'écart, près des garçons et de Gabrielle. La sélection a recommencé. 

- Asseyez-vous.

- Non merci. Répliquais-je froidement.

Le garde me fixe. Il a l'œil bleuté. Peut-être que je devrais être désolée. Mais je ne le suis pas. Je soutiens le regard sans bronché, avec insolence.

- Je suis très bien debout.

En vérité, je ne souhaite que ça. Me laisser tomber au sol et pleurer. Mais je ne veux pas perdre la face. Pas maintenant. Pas encore...

- Asseyez-vous ou je vous ligote jambes et mains. Grogne-t-il.

Je m'assoie sans cesser de le regarder, et je ramène mes genoux contre moi. La présence de la fille à mes côtés me rappelle que je ne suis pas la seule.

Le sang coule encore de ma lèvre. Je m'essuie d'un revers de main. Je serre les poings. Je pense à tous mes rêves. Tous mes projets. Tous mes espoirs d'avoir enfin une vie normale. Une vie qui me permettrait d'oublier. D'être heureuse. De réaliser ma promesse. Je pense à mon père. Ma maison. A ma vie si belle que j'avais eu tant de mal à reconstruire et que je vois s'effondrer du jour au lendemain. J'imagine mon père, seul, à table, devant la place vide en face de lui. Seul, sur le canapé, entendant mes rires raisonner, lointains. Je l'imagine le matin, encore à moitié endormit, entrant dans ma chambre pour me réveiller, alors que je suis partie. Je vois ma chambre vide. Ma place vide. Mon bureau vide. Mon père sur mon lit, se remémorant tous les moments qu'on a passé ensemble, avant qu'on m'arrache de lui. Se demandant où je suis. Se demandant si je vis encore. Je sens les larmes me monter aux yeux. Un spasme me parcoure. Je sens les fils que j'avais utilisé pour recoudre mon cœur se rompre et ma blessure se rouvrir...

J'ai envie de crier ma haine au monde. D'éclater en sanglot. De sortir mes flingues et de tirer sur tout ce qui bouge. Mais je sais que c'est inenvisageable. Qu'il faut préparer méticuleusement une vengeance. J'ai fait cette erreur, un jour, de vouloir trop me précipiter. Je sais que je dois sembler soumise et contrôlable. Si je tire maintenant, d'un je perds et ça ne change rien, de deux je me fais ligoter et surveillée. Et là, je ne pourrais plus rien faire. Je ne l'ai que trop appris.

Alors je relève la tête. Les gars me regardent. Je devine qu'ils ne m'ont pas quitté des yeux depuis que je me suis fait sélectionnée. Doucement, je passe mes yeux sur eux, un par un. La plupart évitent mon regard. Les autres le soutiennent, tantôt curieux, tantôt désireux de montrer qui est le plus fort. Je réprime un rire. Et puis, il y en a deux ou trois qui se sont désintéressé de moi, volontairement, et qui préfère se concentrer sur le « défilé », ou se perdre dans leurs pensées, le visage caché dans l'ombre de leurs capuches.

Je décide de reporter mon attention sur la foule. Les filles défilent. Sans se faire prendre. Alors pourquoi moi ? Je me refuse à croire qu'il m'a sélectionnée à cause de mon passé. De plus, j'ai l'impression de ne pas avoir subi la même sélection. On a montré à Gabrielle l'endroit où elle devait se rendre avant même qu'elle ne s'arrête devant le général. Alors que moi, il m'a longuement étudiée, comme les autres filles avant moi. Sauf que contrairement à elles, je me suis fait désignée.

Une fille arrive. Elle s'appelle Victoire. Elle a les cheveux platine, à la limite du blanc, un teint clair ponctué de taches de rousseur, et avance la tête haute et la démarche assurée. Son regard est prenant, farouche. Avant même qu'elle s'arrête, les vigiles lui indique de se ranger vers les infirmières.

Victoire s'arrête, nullement surprise. Elle me jette un coup d'œil. Les gardes s'amènent pour l'encadrer. Je vois qu'elle a envie de se défendre, de ne pas se laisser faire. Ses poings se serre tandis qu'elle recule d'un pas.

- Ne me touchez pas... gronde-t-elle en avançant un bras menaçant.

Étonnement, les deux hommes ne bougent pas, et elle les contourne pour se présenter elle-même à l'infirmière, sans cesser de les surveiller avec un regard noir.

Elle passe les examens sans broncher, et s'avance d'elle-même pour rejoindre sa place, à mes côtés.

- Salut. Nous salue-t-elle, tandis que je hoche la tête en réponse.

-Désolée pour votre sélection les filles. Murmurais-je en regardant droit devant moi.

Gabrielle souffle un « merci » à ma preuve de compassion. Victoire, elle, hausse les épaules.

-Ne t'en fais pas pour moi. Je n'ai plus rien à perdre.

Je réprime un rire.

-Moi aussi.

-Tu viens de la province ?

Je hausse un sourcil.

-Non. Mais on m'avait pourtant dit que l'on sélectionnait seulement les filles aisées, habitant la capitale... Expliquais-je, déstabilisé.

-Et bien, on nous a mentit. Moi on m'a dit strictement l'inverse.

-Étrange. Je me demande ce qu'ils nous veulent...

-Aucune idée. En tout cas, si notre tâche est de côtoyer ces charmantes personnes... Raille-t-elle, en désignant les garçons à notre gauche, j'accepte le job.

Je pousse un profond soupire.

-Méfie-toi des beaux gosses. Laissais-je échapper.

Elle se tourne vers eux, les observant un instant.

-Je n'appartiendrais jamais à quelqu'un, aussi beau gosse soit-il. Jura-t-elle à voix basse, déterminée.

-Je me suis fait aussi cette promesse. Soufflais-je.

Elle me regarde et sourit. Ses yeux sont d'un gris doux. Elle est très jolie. Son gabarit fin et élancé, légèrement musclé, donne envie de la protégée, pourtant, lorsqu'on croise son regard, on comprend tout de suite qu'elle n'en n'a pas besoin. Elle dégage une aura rebelle, étrange. Je sais qu'elle est de ces filles indépendante, qui adorent être seules et libres, sans mecs, sans chaînes. Sa façon de réagir à la douleur m'étonne. Car oui, cette fille à souffert, ça se voit. Je suis persuadée qu'au moins un de ses parents est mort, et qu'elle s'entend très mal avec l'autre. Elle compense ce manque en affichant des airs de je m'en foutiste, des moues blasées, faisant croire que rien ne peut l'atteindre.

- Kristen Ibrak.

C'est alors que je vois Kristen sortir des rangs. Je reprends mon sérieux et me tends. Je suis sûre qu'elle va se faire sélectionnée. Elle s'avance, digne. Elle inspire une élégante puissance. Ses cheveux sont quasiment les mêmes que ceux de Victoire, mis à part le dégradé gris noir. On lui désigne le côté des sélectionnée d'un signe de tête.

Un magnifique sourire s'étire sur ses lèvres de la jeune fille quand les gardes avancent. Elle a envie de se battre, ça se sent depuis là. Ses pupilles sont dilatées par la colère et l'envie d'en découdre. Si bien que les gardes préfèrent ne pas prendre de risques, et sortent une arme de leur ceinture pure venir la pointé sur son front. La position de la jeune fille se fait moins menaçante, et elle pousse un profond soupir chargé de tristesse.

Avec moi ça n'aurait pas marché. Les menaces de mort ne m'arrêtent pas. Me faire tuer ne me fais pas peur. Me faire tuer serais un soulagement.

Kristen décide d'avancer les lèvres en une moue ravissante, qui fait ressortir son côté félin. Elle boude. Elle croise les bras, le corps bien droit, et jette des regards furtifs à l'infirmière.

On l'amène vers nous.

-Hey, salut. Kristen. Se présente-t-elle, en s'adressant à mes deux voisines.

- Gabrielle.

- Victoire.

Elle s'assied à côté de moi. Je ne suis pas seule. J'ai un peu moins appréhension.


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