23.1 : Souvenirs

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— J'ai décidé de vendre la maison.

Il faisait nuit et pour une fois, Nicolas avait consenti à rester un peu plus longtemps avec elle avant de repartir chez lui. C'était tout ce qu'il avait trouvé à répondre quand elle lui avait demandé pourquoi il y passait toutes ses nuits.

La main de Clara s'arrêta, sa fourchette en attente dans les airs. Une pâte glissa et tomba sur ses genoux.

— La revendre ?

Il acquiesça.

À la chiche lumière de la lampe de table, Clara ne distinguait pas bien son visage ; elle ne s'y attarda pas. Quand bien même il se serait tenu en pleine lumière, elle n'aurait sans doute pas pu deviner ce qui se passait à l'intérieur de sa tête.

Elle ramassa la pâte fuyarde et l'avala avant de poser son assiette sur la table basse. Elle se réinstalla en tailleur sur le canapé.

— Tu es sûr ?

S'il s'était trouvé dans un meilleur état d'esprit, elle aurait sans doute approuvé sa décision. À le voir revenir chaque jour plus dépité, elle devinait que cet endroit ne lui servait qu'à raviver des souvenirs qu'il aurait préféré oublier. Mais Nicolas n'était pas encore assez stable pour décider. Elle ne voulait pas qu'il regrettât son geste lorsqu'il irait mieux. Quelle ironie ! Alors qu'elle avait passé la majeure partie de sa vie à rechercher ses souvenirs, lui semblait vouloir les faire disparaître.

— Tu devrais attendre un peu...

— Pourquoi ? Je n'ai qu'à la retaper un peu, et elle sera vendable. J'ai réussi à récupérer pas mal de matériel sur les chantiers où j'ai travaillé, et...

— C'est quand même là que tu as grandi... Tu ne veux même pas la conserver en souvenir ?

L'œil noir qu'il lui adressa refroidit toutes ses ardeurs : il savait être impressionnant quand il en avait besoin. Clara déglutit et l'Ange, aux aguets, se tenait prêt à la faire disparaître au moindre geste brusque. Trois ans plus tôt, lorsqu'il s'énervait, Clara voulait se cacher dans un trou de souris. Désormais, elle se demandait jusqu'où porterait sa colère. Avec la puissance à sa disposition, le moindre écart pourrait avoir de tout autres conséquences.

Elle attendait sa repartie cinglante quand il parut réaliser son emportement. À la place de ses reproches habituels, il détourna le regard.

— Je n'ai rien à en faire. La revendre est la meilleure solution. Le quartier est plutôt coté et même si le jardin et l'intérieur sont à rafraîchir, les murs sont bons. Il faut juste que je me débarrasse des vieux meubles et que je refasse un peu d'électricité...

Avec prudence, elle posa une main sur la sienne. La tiédeur de son corps la mettait toujours aussi mal à l'aise.

— Prends le temps d'y réfléchir. Rien ne presse... Et si tu le regrettais plus tard ?

— Ça a peu de chances d'arriver.

— S'il te plaît, attends encore un peu avant de la mettre en vente. Tu n'as pas besoin de cet argent dans l'immédiat et...

— Tu vas arrêter, oui ? s'écria-t-il.

Il ôta sa main. Fermé comme une huître, l'expression était bonne : dans cet état, aucun argument, même le meilleur, ne pouvait l'atteindre. Buté et borné, ça, il savait l'être !

— Cette maison m'appartient à présent, et je n'ai aucune envie de la garder. Qu'est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ?

Elle secoua la tête, cette fois prête à l'affronter. Il n'était plus question de subir sa colère sans se faire entendre.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Where stories live. Discover now