3.2 : L'Élection

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Dans la vie de Clara, seules deux personnes avaient réussi à gagner sa pleine et entière confiance : Georges et Nicolas. Aucun d'eux ne l'avait jamais trahie. Bien que tous deux fussent morts désormais, elle pouvait encore retrouver Nicolas dans ses rêves. Assise en tailleur sur son canapé, Clara regardait le pendentif bleu tournoyer au bout de sa chaîne. Après la mort de Darmack, elle l'avait ressorti du placard où elle l'avait enfoui, incapable de tirer un trait sur les années qu'elle avait passées auprès de lui. Elle avait besoin du réconfort que sa présence lui procurait, même par le biais frustrant de simples souvenirs. Le réalisme avec lequel elle revivait les scènes de son passé lui permettait de retrouver les mêmes sensations qu'alors.

À son réveil, elle en payait les frais. Combien de temps s'était écoulé depuis ? La blessure brûlait toujours. Nicolas lui manquait toujours autant. Sa mort avait laissé un trou béant dans son cœur et avec le retour de ses souvenirs, accentué le manque.

La photo que Carole Collin lui avait confiée avait trouvé sa place sur une console contre le mur, dans un cadre de bois clair qui la mettait en valeur. Chaque jour, lorsqu'elle rentrait, elle redécouvrait son air bourru, cette mine boudeuse de celui qui ne souhaite pas être photographié. Des années plus tard, ce souvenir revêtait pourtant à ses yeux l'aspect d'un véritable trésor.

Hélas, le pendentif qu'elle contemplait depuis plusieurs minutes ne lui ramènerait pas l'homme qu'elle aimait encore. Elle posa la petite pierre sur la table basse et s'allongea sur les coussins, les bras croisés derrière la nuque. Au milieu de ses songes, Darmack surgissait encore, s'associant à l'athamé qui avait volé la vie de Nicolas, aux ciseaux qui avaient mis fin au Maître. Elle aurait aimé ne penser qu'aux bons moments mais à chaque fois, le visage ensanglanté de Darmack surgissait et transformait ses rêves en cauchemars. Pourrait-elle un jour surmonter ce qui s'était passé ? Assumer son geste ?

Oui, c'était bien dans ce genre de moments qu'elle regrettait le plus la présence réconfortante de Nicolas. Bien que l'Ange œuvrât avec efficacité, elle n'en retirait pas le même plaisir. Elle devrait pourtant faire avec.

« Navré de n'être qu'un palliatif », ironisa-t-il.

Malgré elle, Clara sourit.

« Mais tu n'es plus seule désormais. Ce n'est pas comme à cette époque. »

Parfois, lorsqu'elle y pensait, Clara doutait encore d'avoir retrouvé sa famille. Et à la simple idée d'envisager Éric comme son propre frère, son cerveau tournait à vide. Comment avaient-ils pu se côtoyer des mois durant sans le savoir ? Clara ne croyait plus aux coïncidences, et se doutait que la magie avait sans doute donné un coup de pouce à leur rencontre. Premier bon point. La magie ne lui occasionnerait peut-être pas que peine et malheur, finalement...

* * *

Le parfum de Nicolas, et l'odeur des arbres.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle vit ses bras délicatement passés autour d'elle. Adossée contre son torse, elle s'était simplement endormie, assise contre lui, et écoutait d'une oreille distraite le clapotis du ruisseau qui s'écoulait à quelques pas.

Rien ni personne ne venait troubler ce moment de quiétude. Seuls quelques rares promeneurs, plus loin sur les chemins aménagés, s'aventuraient à proximité, toujours trop loin pour les déranger. Peu de badauds s'attardaient au-delà des arbres pour découvrir la sérénité du parc et de ses espaces verts. Quelques oiseaux sifflaient au-dessus de leurs têtes, le soleil brillait, une légère brise rafraîchissait l'air. Un moment parfait.

— Réveillée ? murmura la voix de Nicolas à son oreille.

— Désolée... je ne voulais pas m'endormir.

— Ce n'est rien.

— Tu es si calme... parfois j'ai du mal...

— ... à rester éveillée ?

Il se mit à rire doucement, puis déposa un baiser au creux de son cou.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire...

— Ça prouve surtout que tu me fais suffisamment confiance pour te laisser aller.

— Comment peux-tu rester ici des heures sans bouger ?

— Ça me fait du bien.

Sa voix, presque un murmure, attestait de ses dires. Assis dans l'herbe, il paraissait plus serein que jamais. Elle se tourna à demi pour épier son expression quand elle sentit un insecte lui grimper sur la main. À la vue de l'araignée qui escaladait son poignet, elle poussa un cri.

— Tue-la ! Tue-la ! s'écria-t-elle en agitant le bras en tous sens.

— Pourquoi la tuer ?

Il immobilisa Clara puis, sans aucune réticence, attrapa l'insecte et le reposa sur l'herbe, aussi loin que possible. L'animal s'éloigna sans demander son reste.

— Elle va revenir si tu ne la tues pas.

Il dégagea les cheveux de Clara qui lui chatouillaient le visage et posa ses lèvres sur sa joue.

— Clara... ce n'est pas une psychopathe. Elle ne reviendra pas pour te tuer. Elle n'a grimpé sur toi que parce que tu étais sur son chemin.

— Je déteste les araignées, dit-elle en frissonnant.

— Elle ne te mangera pas. Pas celle-là !

Il soupira, resserra doucement son étreinte. Elle ferma les yeux, porta ses mains loin du sol pour éviter une nouvelle rencontre malheureuse et savoura cet instant quelques minutes. Ses pensées vagabondaient loin du parc.

— Nicolas... pourquoi tu es entré à La Maison ?

Ses mains se crispèrent aussitôt. Jamais il n'avait consenti à répondre à cette question. Clara avait pourtant tout essayé pour lui en arracher la raison... mais à ses heures, Nicolas se révélait une pire tête de mule qu'elle. Avec douceur, elle recouvrit ses mains des siennes.

— Pourquoi ne veux-tu rien me dire ? C'est que... je ne comprends vraiment pas. Le Maître t'y a obligé ?

Elle attendit un instant, sans lâcher ses mains. Il ne se détendait pas, bien au contraire, et ses caresses n'y changèrent rien.

— Tu n'as rien à voir avec lui. Tu n'es pas quelqu'un de dangereux, ou de méchant... je...

— Ne parle pas de ce que tu ignores, coupa-t-il d'un ton sec.

Nouvel échec. Elle pinça les lèvres.

— Excuse-moi. Tu m'en veux pour...

— Ne t'occupe pas de ça. Peu importent les raisons qui m'ont amené là. Il est trop tard maintenant.

Elle n'aimait pas savoir qu'il gardait toute cette rage à l'intérieur de lui. Souvent, Nicolas lui apparaissait comme un volcan sur le point d'exploser. Et elle ne voulait pas être là le jour où l'éruption se produirait.

Ce jour serait dévastateur.

* * *

Elle ouvrit un œil, puis le second. Toujours allongée sur le canapé. La proximité avec la pierre avait œuvré comme à son habitude.

Un sourire nostalgique sur le visage, elle soupira. Ce rêve avait été si délassant, si agréable... Pour la énième fois, elle refusa d'accepter son geste. Pourquoi n'avait-elle pas résisté à la force de compulsion du Démon ? Pourquoi avait-elle tué le seul homme qu'elle avait jamais aimé...

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Where stories live. Discover now