Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)

8.1 : le Troisième Esprit

La jeune fille était allongée sur une banquette.

Avec ses pouvoirs, Clara leur avait permis à tous de regagner le bar... à l'exception de Nicolas. En tant que Fossoyeur, quelques secondes auraient dû lui suffire pour faire de même. Un quart d'heure s'était écoulé, et il ne montrait toujours pas le bout de son nez. Clara faisait les cent pas.

— Ce n'est pas normal, murmura-t-elle.

— Il a dû faire un petit détour, proposa Gilles.

— Où ça ?

— Retrouver ses amis Fossoyeurs, par exemple.

Clara lui donna un coup de coude dans les côtes et lui soutira, à sa plus grande satisfaction, un petit cri de douleur.

— Mais c'est qu'elle en vient aux mains !

— Aux coudes.

— Pour ce que ça change...

Elle soupira.

— Si ce que tu m'as dit est vrai...

— Je ne peux pas te le garantir. Ce sont des infos que j'ai récupérées à droite et à gauche, je ne sais pas si elles sont fiables. Mais rien ne les a jamais remises en question.

Elle soupira de plus belle.

Penché sur l'inconnue, Gilles l'inspectait des pieds à la tête. Selon lui, le moindre détail pouvait trahir son époque. Toujours intriguée par son identité et les raisons de sa venue, Clara se planta à côté de lui et l'imita.

Elle n'était pas grande, ni très vieille. Dix-sept, dix-huit maximum. Avec son t-shirt et son jean clair, une tenue somme toute passe-partout, elle ne dévoilait rien de particulier. Soit elle venait d'un futur proche, soit elle avait pris le temps d'adapter sa tenue à leur présent.

Toutefois, lorsque Gilles frotta d'un doigt ses vêtements, Clara remarqua qu'ils étaient maculés de poussière. Les traces à peine plus sombres de poussière, ou peut-être de terre, lui sautèrent ensuite aux yeux. Ses ongles noirs. Les petites et rares traces, discrètes, qui évoquaient des éclaboussures.

« Du sang, confirma l'Ange. »

Dans quelles circonstances avait-elle entrepris ce voyage ? Son départ avait-il été précipité ou improvisé ? L'hypothèse cadrait avec sa détresse. Un peu en « sourdine » depuis son évanouissement, ce sentiment surpassait les autres. L'excitation, l'espoir. Un espoir fou. Mais tant de détresse... Quand Clara se penchait sur cette boule d'émotions, les larmes perlaient au coin de ses yeux. Brusquement, elle chassa le sujet et songea de nouveau à Nicolas. Avait-il rencontré d'autres Fossoyeurs sur le chemin ?

Comme en réponse à sa question muette, une violente et soudaine secousse ébranla les murs du bar, qui se craquelèrent sous l'impact. En un réflexe, Clara consolida le bâtiment avec ses pouvoirs. À croire que ses ennemis épiaient chacun de ses moments d'inattention ! Face à la voyageuse, elle avait baissé sa garde.

— C'est quoi ça ! cria Gilles.

Boris était déjà debout, prêt à bondir.

Les fissures se refermèrent et le bâtiment entier se stabilisa. Elle l'ensorcela d'un charme de résistance, bien décidée à ne pas le voir démoli. Hors de question d'ensevelir ses proches, tout autant que de perdre le précieux legs de Georges. Un vertige ponctua son intervention.

— Clara, qu'est-ce qui se passe ? demanda Gilles, paniqué.

Elle ouvrit en grand la porte et découvrit un bulldozer prêt à raser l'immeuble. Alors qu'elle envisager de dissuader le conducteur, au moyen de ses pouvoirs si nécessaire, trois Fossoyeurs s'interposèrent. La sorcière se figea et jeta à l'ouvrier un regard coléreux.