3.1 : L'Élection

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Sous la surveillance des caméras et des gardiens au visage fermé, Clara suivait en silence l'homme qui l'escortait. Elle avait longtemps palabré pour obtenir cette entrevue, et n'y serait pas parvenue sans coup de pouce magique. À présent qu'elle était entrée, elle se demandait si elle avait pris la bonne décision. Les murs gris, ternes, nus, l'oppressaient.

Le surveillant ouvrit une porte avec sa carte magnétique et la précéda à l'intérieur. D'un ton rude et sec, il lui indiqua de s'asseoir à la table. Elle s'exécuta et attendit. Quelques secondes plus tard, Marc Ridge pénétrait dans la pièce par l'issue réservée aux détenus.

Terminé, l'homme d'affaires impeccable et tiré à quatre épingles. Il arborait une barbe de plusieurs jours et des cheveux hirsutes, qui de surcroît auraient mérité quelques coups de ciseaux. Dans ses vêtements de détenu, il n'inspirait plus ni crainte, ni admiration. Ses pupilles n'abritaient plus d'étincelle. Devant elle se tenait un homme qui avait perdu tout espoir de s'en sortir et tracé un trait définitif sur sa vie passée.

Quand il la reconnut, ses yeux s'écarquillèrent. Après un instant de stupeur – et une vive secousse du gardien – il prit place de l'autre côté de la table. Seul un homme armé resta à côté de la porte pour en garder l'issue.

— Tu es bien la dernière personne que je m'attendais à voir ici, murmura-t-il. Je croyais que seule la famille et les proches...

— J'ai mes ressources, coupa-t-elle.

— Je serais curieux de les connaître.

Son regard lui donna la chair de poule. En dépit des évènements et de son allure négligée, le milliardaire savait encore se montrer séduisant, à sa manière. Comme elle ne répondait pas, il expira longuement.

— Qu'est-ce qui t'amène ?

— Je venais prendre de tes nouvelles.

Son expression se renfrogna.

— Je suis au meilleur de ma forme.

— Marc...

Il s'appuya au dossier de la chaise.

— Je t'en prie, Chloé. Trouve au moins une meilleure excuse.

Elle ne jugea pas opportun de corriger son prénom. Inutile de se perdre en conversations superflues.

— Je devais te parler.

— Je suis tout ouïe

— Je... me pose des questions.

Devant son silence, elle secoua la tête.

— Je ne pouvais pas cacher ce que je savais à la police, expliqua-t-elle. La mort de Georges est un sujet qui me met hors de moi. Seulement... je n'ai jamais été convaincue que tu étais le responsable. Je n'arrive... tout simplement pas à y croire.

Il leva un sourcil. Une petite étincelle naquit au fond de ses yeux. Faible, mais présente.

— Tu n'as pas l'impression que c'est un peu tard pour t'en soucier ?

Comme si le voir dans cet état ne suffisait pas, Clara ressentait plus que jamais les sentiments de son interlocuteur. La détresse dominait, suivie de honte et d'étonnement. Quand elle réalisa que ces émotions ne lui étaient pas propres, elle s'évertua à couper la connexion qui s'était établie entre eux et faisait partie des lourds fardeaux de l'Ange.

« Il va falloir t'y habituer. »

— Ça peut te paraître étrange, reprit-elle. Surtout après ce que je t'ai fait... mais je refuse de croire que tu es un tueur.

À nouveau, il garda le silence. Par ces quelques mots, Clara avait pourtant éveillé sa curiosité et réveillé d'autres sentiments qui auraient mieux fait de rester endormis. À nouveau, elle lutta pour dresser un mur entre ses sentiments et ceux de Marc, et détourna les yeux.

— Ce que je crois, c'est que tu es impliqué d'une manière ou d'une autre. Mais je ne pense pas que ce soit toi qui aies initié cette affaire.

Le regard de l'illustre détenu s'accrocha au sien, indescriptible. Troublée, Clara avait de plus en plus de difficultés à faire le tri entre ses propres sentiments et ceux qui émanaient de lui. Parmi toute sa confusion, toutefois, elle décela un nouvel espoir.

— Plus qu'étrange, je trouve ça incroyable.

De l'espoir... mais de l'appréhension également. Clara devait creuser. Comprendre. Ne plus prendre de raccourci : soit lui soutirer la vérité, soit user de ses pouvoirs jusqu'au bout. Et garder la tête froide...

— J'y ai longuement réfléchi... Si vraiment tu avais fait tuer Georges pour obtenir le bar, tu aurais persévéré. J'étais à ta portée, et ton dernier obstacle. Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué, non...

Il passa une main sur son visage.

— Il est trop tard pour revenir en arrière, ce n'est plus possible, surtout depuis qu'Hélène a témoigné contre moi et détruit ce qui me restait de dignité et de crédibilité. Trop de preuves et de témoignages m'accablent. Je n'ai plus aucune chance de m'en sortir.

La mention d'Hélène éveilla chez lui un intense ressentiment. Clara s'en intrigua.

— Hélène... a quelque chose à voir dans cette affaire ?

Il ne répondit pas, mais la fixité de son regard était plus éloquente que le moindre mot. Les caméras de sécurité, qui enregistraient chaque miette de la conversation, le gênaient. Il leur adressa un rapide regard, puis secoua la tête.

— Oublie cette histoire. Et oublie-moi.

— Il est trop tard pour ça.

Comme elle lui adressait un regard entendu, il se pencha sur la table.

— Chloé... ne te mêle pas davantage de cette histoire.

Ses émotions le lui confirmèrent : elle avait tapé dans le mille. Ses mains se refermèrent sur les siennes ; Clara sursauta. Malgré toute l'aversion qu'elle avait ressentie pour lui en découvrant son lien avec le meurtre de Georges, son cœur battait encore follement lorsqu'elle était en sa présence. Trop à son goût.

— On s'éloigne ! grogna le garde près de la porte.

— Elle est dangereuse, ajouta-t-il tout bas. Reste loin d'elle.

Elle acquiesça et il obéit au maton.

Malgré sa responsabilité dans son inculpation, Marc s'inquiétait sincèrement pour elle. Les avances à peine dissimulées qu'il lui avait faites n'avaient-elles été qu'un moyen de la protéger de cette femme ? En tant que successeur de Georges au bar, Clara s'était sûrement trouvée en tête de sa liste noire si, comme elle le pensait, Hélène était la seule et unique responsable.

— Je suis très sérieux.

— C'est compris.

Un autre surveillant ouvrit la porte et coupa court à la conversation.

— C'est terminé.

Alors qu'elle s'éloignait du bâtiment, Clara songea avec quelle maestria il était parvenu à la tromper : Marc Ridge était loin d'être aussi faible et désespéré qu'il le paraissait. On n'arrivait pas si haut en abandonnant à la première difficulté...

L'instinct de Clara lui certifiait qu'il n'était pas un homme mauvais... mais malgré tout, elle ne parvenait pas à lui accorder sa pleine et entière confiance. Lui aussi était un homme dangereux.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Where stories live. Discover now