Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)

22.4 : le Quotidien

— Attends-moi là, tu veux ?

D'une poigne ferme, il la retint par le bras.

— Non, où tu vas ?

— Éric, arrête un peu. Je ne suis pas sans défense.

À contrecœur, il desserra sa prise. Son visage exprimait clairement son désaccord. Elle poussa un soupir excédé et sortit.

Plus petit que Nicolas, le Fossoyeur inconnu la défiait du regard. Comme de bien entendu, tous deux l'avaient entendue approcher avant même qu'elle eût franchi le seuil et stoppé leur conversation. Difficile de surprendre deux êtres à l'acuité sensorielle surdéveloppée.

L'homme ne payait pas de mine. Tout de noir vêtu à l'instar de Nicolas, il avait une physionomie très commune, presque passe-partout. Ses yeux noisette et ses cheveux sombres tranchaient sur la pâleur de sa peau, dont la lumière nocturne exacerbait le contraste. Une belle lune ronde se voulait le seul témoin de leur échange.

— Tout va bien ? demanda-t-elle.

— Tu peux rentrer, Clara. Il ne fera pas de grabuge. On s'est croisés, tous les deux, dans les rangs de Jérôme...

L'autre Fossoyeur dévisagea Nicolas avec stupeur, sans doute affolé de voir son congénère dévoiler des secrets qui n'avaient pas à l'être. Il se redressa de toute sa hauteur, prêt à mordre avant d'être mordu.

— Et je peux savoir qui vous êtes ?

— Vous êtes à côté de mon bar. Et monopolisez mon employé.

L'homme hésitait. Son regard le trahissait : il ignorait dans quelle mesure elle en savait sur Nicolas.

— C'est une sorcière. C'est elle qui a... mis fin à Jérôme.

Au tour de Clara de le regarder avec stupeur.

Il est fou de balancer ça comme ça !

Non seulement c'était faux, mais en plus cet inconnu n'avait pas à le savoir !

Cependant, l'intrus se dégonfla aussitôt, tel un ballon de baudruche. Son expression, par contre, gagna en intelligence. Cet homme n'était pas un idiot et comprenait toutes les implications d'une telle révélation.

— Je m'appelle David. Et... et je pense que je dois vous remercier, si c'est vous qui avez tué Le Maître.

Clara tiqua à cette appellation. Pourtant, Nicolas l'avait avertie que prononcer ou entendre le nom de Jérôme le mettait mal à l'aise. L'emploi d'un nom détourné leur évitait ce même malaise. Nicolas, cependant, se forçait à l'utiliser. Il ne supportait pas la moindre faiblesse émanant de lui et flancher à cause d'un prénom le mettait dans une rage sourde. Comme pour Darmack trois ans plus tôt, il refusait cette soumission.

— Si un jour je peux vous être utile, n'hésitez pas à me le demander.

Loin de s'attendre à l'aide d'un nouveau Fossoyeur, elle avait cru qu'il lui attirerait de nouveaux ennuis. Si Nicolas était toujours le même, bien que d'humeur un peu plus maussade, pourquoi en aurait-il été autrement pour les autres ? Devenir Fossoyeur n'impliquait pas forcément de devenir mauvais. Seule l'influence de Jérôme les obligeait à accomplir leur méfaits, et si certains y trouvaient leur compte, d'autres ne pouvaient se résoudre à cette fatalité. Alors qu'elle les envisageait tous comme des menaces, elle réalisa que Nicolas n'était sans doute pas le seul à avoir trouvé cette transformation insultante, voire dégradante.

David semblait de bonne foi, sensé. Clara refusait pourtant de trop se fier à son flair. La prudence s'imposait face à sa puissance latente.

— Merci David. J'y songerai.