20.2 : Gilles

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— C'est par là que Tatiana est arrivée ?

— C'est ça.

Gilles souffla, tapota une dernière fois sur son clavier et la rejoignit pour admirer, à son tour, le fruit de son labeur. Ses manches retroussées découvraient ses bras couturés de cicatrices. Alors qu'elle avait toujours voulu l'interroger à ce sujet, elle retint sa langue. À présent qu'elle savait pour son frère, Clara devinait le rôle que Michel avait pu jouer dans ses balafres. Et Gilles éprouvait une telle fierté devant sa construction qu'elle ne voulait pas enrayer sa bonne humeur.

— D'après mes calculs, elle a fait un voyage de vingt-quatre ans.

— Vingt-quatre ans...

— Ce n'est pas extraordinairement long, mais ça doit lui faire quelques changements... N'y pense pas trop. Sa venue ici a peut-être déjà remis en cause ce futur voyage.

Clara se perdit dans ses réflexions et ce paradoxe temporel. Gilles, peu enclin à lui détailler son raisonnement, ôta le bandeau qui lui ceignait toujours le front et passa une main dans ses cheveux grisonnant. La sueur brillait sur ses tempes. Dans ce bunker, l'air ne circulait pas bien et l'atmosphère lourde et moite contribuait à coller ses vêtements à son corps.

— Note pour plus tard, dit-il : améliorer la ventilation.

Elle pouffa de rire et observa plus attentivement son installation. D'énormes machines occupaient presque tout l'espace. Seul le sas attirait l'œil par sa porte vitrée ; le reste ne ressemblait à ses yeux qu'à de la ferraille organisée. Au milieu du ronronnement des machines, face à un tel spectacle, Clara avait le sentiment d'avoir basculé dans un film de science-fiction. Et à voir son savant-fou de barman de nouveau devant l'écran du poste central, ses yeux illuminés du bleu de l'écran, elle en doutait de moins en moins.

— Et... tu as fait tout ça seul ? Au fait... tu as de l'électricité ?

— Les générateurs de secours, ça existe. J'ai dû m'en bricoler un...

Perplexe devant des connaissances qu'elle n'avait jamais soupçonnées chez lui, Clara dévisagea Gilles. Derrière son bar, il lui avait toujours donné l'air d'un quadra séducteur, à l'aise dans son métier et incroyablement sociable. Comparé à sa timidité maladive et son caractère renfermé, il était une véritable lumière. Avec son tempérament sociable, elle ne se l'était jamais imaginé en train de bricoler des inventions exubérantes. Cette vision était à mille lieues du portrait qu'elle se dressait de lui. Elle se rappelait encore du jour où il l'avait pour la première fois accueillie au bar et commencé à l'appeler « p'tite tête ». Les lèvres de Chloé avaient protesté mais son cœur avait souri. Si Georges avait été son père d'adoption, sans conteste, Gilles avait pris le rôle du grand-frère enquiquineur.

Et elle venait de le réaliser.

Je suis vraiment longue à la détente.

— Je me rends compte à quel point je te connais peu...

Il haussa les épaules, sans détacher son regard de l'écran.

— Tu n'as rien à te reprocher. Je n'avais pas de raison de te faire part de tout ça. Tu n'étais que la petite chanteuse du bar... Même après, en devenant ma patronne, ça ne changeait rien. Si tu avais fait partie du commun des mortels, soit tu m'aurais pris pour un fou, soit ces informations auraient pu t'attirer des ennuis. Ou peut-être les deux...

— C'est vrai.

— À l'inverse, tu n'avais pas de raison de me confier que tu étais l'Ange.

Il se tourna vers elle.

— C'est différent, à présent. On n'a plus vraiment de secret l'un pour l'autre.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant