Chapitre 16: Martha Fisher

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Oldwoods - Minnesota,

Martha Fisher est debout derrière son bureau et referme le dernier tiroir qu'elle vient de vider. La totalité de ses effets personnels sont maintenant entassées dans ce carton, qu'elle observe avec nostalgie, avant de balayer du regard, cette pièce qui fut comme sa deuxième maison durant près de dix ans.

C'est à ce moment que le doute choisit de faire son apparition. Martha ne peut s'empêcher de se demander si elle a fait le bon choix, en décidant de quitter son emploie pour élever ses enfants à plein temps. Plongeant la main dans le carton, elle reprend le cadre contenant une photo de sa fille de six ans, assise en haut du toboggan, son petit frère de quatre ans sur les genoux, tous deux arborant un sourire rayonnant et plein de joie.

L'assistante sociale sourit et repose le cadre dans le carton. Bon choix ou pas, dans un peu moins de quinze minutes ce sera terminé, elle ne fera plus partie de l'équipe de ce département d'aide à l'enfance. Elle regarde une dernière fois le bureau, ce bureau constamment rempli de dossier en tout genre, certains plutôt faciles, d'autres très difficiles, voir complètement éprouvant. Elle se rappelle du tout premier qu'elle avait reçu, il ne faisait hélas pas partit des dossiers faciles.

Fraîchement sortie de l'université, la jeune Martha se met énormément la pression pour ce premier jour. Elle souhaite faire du bon travail et contenter sa chef de service. La jeune femme attache ses longs cheveux noirs et ouvre le premier dossier qui lui a été confié à son arrivée. Il s'agit d'un petit garçon de quatre ans, faisant l'objet d'une enquête, après avoir été retrouvé seul sur les marches d'une église. Lorsqu'il a été trouvé, l'enfant avait dans la poche, de sa salopette, une note sur laquelle était inscrits son prénom, ainsi que sa date de naissance. Il avait par la suite été confié à une famille d'accueil, en attendant que ses proches soient retrouvés.

Le dernier document du dossier est un courrier datant du mois dernier. Le couple accueillant l'enfant, depuis déjà deux années, demande à pouvoir l'adopter. Agrafé à leur lettre, la décision du juge. Négative. La jeune femme lit attentivement les raisons évoquées. Elle est outrée de voir que, sous prétexte que l'enquête soit encore, soit disant en cours, l'enfant ne puisse être adopté pour l'instant. Le juge justifie sa décision par le fait que la véritable famille de l'enfant pourrait se manifester à tout moment.

- Mais ça fait deux ans, quoi... s'indigne-t-elle. Si quelqu'un voulait vraiment le réclamer ce serait déjà fait, non !

Quoi qu'elle pense de cette décision, sa mission aujourd'hui est d'aller récupérer ce petit garçon et l'enlever à ces personnes qui se sont occupées de lui depuis ces deux dernières années.

Arrivée chez les Orson, une très charmante femme lui ouvre la porte. Martha se présente et lui explique la raison de sa venue. Le visage d'Isabel Orson se décompose instantanément.

- Non, ce n'est pas possible. s'offusque-t-elle. Pas aujourd'hui !

- Je suis vraiment désolée mais...

- Ça ne peut pas attendre demain ? la coupe Isabel.

- Croyez-moi Madame, j'en suis tout autant navrée que vous, mais je n'ai pas d'autres choix.

Mme Orson soupire un grand coup, toise la jeune femme puis l'invite à entrer. Ce que voit Martha en pénétrant dans la maison, lui crève le cœur. Des ballons et des guirlandes ornent le salon. Sur le mur, une banderole où la jeune travailleuse sociale peut lire « Joyeux anniversaire Will ».

- C'est son anniversaire... souffle-t-elle.

- Oui. répond sèchement Luke Orson qui les avait rejointes. Et étant donné la décision du juge suite à notre demande, nous avions décidé de célébrer ce jour, en lui offrant une belle fête d'anniversaire.

- Je suis vraiment désolée...

- Vous permettez qu'on lui dise au revoir en privé ? demande Isabel Orson.

- Oui... oui bien sûr.

Le couple s'éclipse, et monte chercher l'enfant, la laissant seule avec ses états d'âme. Quel genre de monstre était-elle pour venir ainsi ôter un enfant à une famille aimante le jour même de son anniversaire ? Qui plus est, pour l'emmener dans un foyer où il attendra d'être placé dans une nouvelle famille d'accueil. Une quinzaine de minutes plus tard - les plus longues de sa vie - le couple revient. Mr Orson a dans les bras le petit garçon qui s'accroche à lui, le visage enfoui dans son cou. La jeune femme s'approche timidement.

- Bonjour Will, je m'appelle Martha. Tu... tu vas venir avec moi aujourd'hui.

- Non, veux pas aller avec elle ! s'écrit l'enfant en tournant la tête de l'autre côté. Je veux rester ici !

Martha recule, pendant que le couple explique à l'enfant que ce n'est pas définitif et qu'ils vont se revoir très bientôt. Ils proposent ensuite de l'accompagner jusqu'à la voiture, où ils lui disent encore une fois à quel point ils l'aiment et qu'ils comptent tout faire pour qu'il revienne vivre avec eux.

Tentant de se faire discrète durant cet au revoir déchirant, la jeune travailleuse sociale se rappelle des directives de sa chef de service : « Vous devez impérativement être au foyer avant onze heures » lui a-t-elle précisé. Martha regarde sa montre et constatant qu'il est déjà plus de dix heures et demi, elle s'adresse aux Orson.

- Je suis désolée mais il va vraiment falloir qu'on y aille.

Luke lui tend l'enfant qu'elle essaie de prendre dans ses bras, mais celui-ci se débat et se tortille dans tous les sens, si bien que la jeune femme fini par recevoir un violent coup tête au visage. Une douleur fulgurante s'empare de son nez. Isabel Orson s'approche pour s'assurer que tout va bien pendant que son époux tente de raisonner l'enfant, qu'il réussit à installer sur le siège arrière de la voiture. Celui-ci continue de hurler, pleurant toutes les larmes de son corps tandis que Martha monte au volant.

Elle lève la tête pour regarder l'état de son nez dans le rétroviseur intérieur. Du sang commence à s'écouler de ses narines. Elle sort un mouchoir de la boite à gants pour l'éponger, puis lance malgré elle, un regard noir à l'enfant qui continue de gesticuler en criant à l'arrière du véhicule. Lorsque leurs regards se croisent à travers la glace, le désarroi qu'elle voit dans les yeux de ce bambin sanglotant et hoquetant, lui est insupportable. La jeune Martha, rongée par les remords, détourne le regard et démarre.

Trois brefs coups contre la porte, viennent sortir Martha Fisher de ses pensées. Elle lève les yeux pour voir un de ses collègues et ami pencher la tête par la porte.

- C'est l'heure, dit-il avec un sourire triste. Tout le monde t'attend en bas.

- J'arrive dans une minute.

De nouveau seule, Martha pense à cet enfant qui doit avoir, pas loin de quatorze ans aujourd'hui. Elle se reproche d'avoir réagit comme une idiote ce jour là. Elle débutait et voulait bien faire, suivant bêtement les ordres qui lui avaient été donnés. Si elle devait se retrouver dans cette même situation aujourd'hui, elle trouverait une excuse, n'importe laquelle, l'ayant fait arriver trop tard au domicile des Orson. L'enfant aurait ainsi eu droit à cette journée en plus à passer avec eux, pour célébrer son quatrième anniversaire, entouré de personnes qui l'aiment et tiennent à lui.

Elle aurait aimé savoir s'il a finalement pu être adopté par ce couple qui avait l'air de l'aimer si fort et semblait prêt à tout pour le garder auprès d'eux. Malheureusement après le placement de l'enfant au foyer, son dossier avait été confié à un autre département. Martha regrette de n'y penser que maintenant. Elle aurait aimé pouvoir se renseigner auprès de ses collègues du département nord, afin de savoir ce qu'il était advenu de ce petit garçon, qui lui avait tout même cassé le nez le matin de son premier jour de travail.

Peut-être le fera-t-elle, un jour. Mais pour l'instant, place à la joie et à la bonne humeur. La trentenaire attrape la lanière de son sac, qu'elle accroche à son épaule, puis prend le carton et quitte pour la dernière fois ce bureau, et part retrouver ses collègues qui l'attendent en bas, pour célébrer sont dernier jour parmi eux.

Celle que je veuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant