Chapitre 20: "Pour mon bien" (2/2)

1K 127 92
                                    

- La première...

Will marque un temps d'hésitation. La tête baissée, il tripatouille ses ongles, se racle la gorge et prend une profonde inspiration, avant de poursuivre.

- La « vraie ». rectifie-t-il en mimant des guillemets avec ses doigts. Je ne m'en souviens même pas, je n'avais que deux ans, lorsqu'elle m'a tout simplement laissé derrière elle, comme on laisse un bagage encombrant.

Ses mains sont tremblantes. Il entrelace les doigts et serre fort ses paumes l'une contre l'autre, afin de les contrôler. Il souffle de rire en ajoutant :

- Devant l'église. Un peu bateau, tu ne trouves pas ?

Il risque un regard vers Lisa. Celle-ci l'écoute attentivement, ses pupilles attendries le scrutant sans ciller.

- J'avais huit ans quand je l'ai appris en lisant mon dossier. Et tu sais ce que m'ont dit les travailleurs sociaux ? Que c'était sûrement pour mon bien qu'elle avait fait ça, pour m'offrir une chance qu'elle ne pouvait pas me donner en me gardant avec elle.

Will lève les yeux au plafond puis ferme les paupières un instant, contraignant ainsi ses larmes à rebrousser chemin. Il rouvre les yeux, dévoilant un regard quelque peu rêveur, et reprend, un sourire triste aux lèvres.

- La deuxième, elle était géniale. Elle s'appelait Isabel, et il y avait aussi son mari Luke. Je me souviens encore de l'odeur des gâteaux qu'elle préparait. J'étais, tout petit, tu sais, je ne me rappelle pas de tout, mais je sais qu'ils m'aimaient eux. Mais tu sais quoi ?

Il plante son regard dans celui de Lisa, qui fait non de la tête, les yeux écarquillés, redoutant probablement d'entendre la suite.

- Pour mon bien, le juge a décidé que je ne pouvais pas rester avec eux. Je me souviens très bien de ce jour. On préparait la fête pour mon anniversaire et une assistante sociale est venue me chercher.

Sa voix s'éraille. L'adolescent s'éclaircit la gorge et essuie mécaniquement la larme qui roule sur sa joue. Il regarde ses mains, qui tremblent de plus belle. Lisa glisse ses doigts entre les siens. Ce contact l'apaise et le rassure. Il la regarde et lui sourit. La jeune femme tente d'y répondre, mais ses lèvres n'arrivent à produire qu'un rictus de compassion.

- Je me souviens encore de son prénom, reprend Will. Elle s'appelait Martha. Je l'ai haï pendant longtemps, je crois même que je la hais encore aujourd'hui. Elle m'a emmené dans un foyer, où je suis resté plus de deux ans. Isabel et Luke m'appelaient souvent au début, puis plus rien. J'ai ensuite été placé dans une nouvelle famille. Oui, celle de la maman, numéro trois, Gina. Je me souviens avoir entendu la nouvelle assistante sociale leur dire que pour mon bien, encore une fois, ils ne devaient pas trop s'attacher à moi. C'est ce qu'elle a fait. Elle n'était pas méchante, mais je ne l'intéressais tout simplement pas. Parfois, j'avais même l'impression de la déranger. Ils ont fini par déménager, lorsque j'avais six ans. Sans m'emmener évidemment.

Will marque une pause, son regard s'assombrit et il reprend avec un peu plus d'amertume dans la voix.

- C'est là que je suis arrivé chez Rachel, la mère, numéro quatre. J'y suis resté cinq mois. Elle avait deux garçons, leur jeu préféré, c'était de me cogner dessus. Un jour, ils se sont tellement bien amusés, que j'ai atterri à l'hôpital. Leur mère s'est plainte en disant que ses fils n'étaient pas violents et que c'était moi, qui avais une mauvaise influence sur eux. T'y crois ça ? Elle a demandé à ce que je ne revienne pas chez eux, mais pas pour mon bien cette fois-ci, non pour le bien de ses fils !

La voix de Rachel résonne encore dans sa tête, il se rappelle ses mots dans les moindres détails, lorsque l'assistante sociale s'était présentée à l'hôpital :

Celle que je veuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant