《 Je me lève chaque matin, l'air de rien. Je m'habille, vais à l'école, je souris mais pour personne. Je suis seul, complètement seul. Délaissé comme un chiot abandonné. J'ai peur, vous savez ? Mais je fais avec, j'affronte mais je sais que le lende...
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J'aimerais dire que je me sens invisible, mais ça serait beaucoup trop simple. La vérité, c'est que je me sens terriblement visible et complètement ignoré. Et ça, c'est plus dur, plus difficile à accepter. J'ai passé la semaine à éloigner Harry de moi. Il était la seule personne sur laquelle mon espoir de bonheur reposait encore et avec de simple mots, de simple geste, il a brisé tout ce qui reposait sur ses épaules comme s'il avait enlevé de la poussière de sa manche. Car mon espoir est un peu ça, de la poussière. C'est si difficile d'accepté la réalité. J'étais seul, incroyablement seul, face au reste du monde. Et vous savez ce que font les gens seuls ? Ils se rassemblent. C'est pour cela qu'après avoir laissé un bout de papier sur la table de la cuisine disant à ma mère que j'allais chez Harry, je me dirige, capuche sur la tête en direction de la maison de William chez qui la soirée à laquelle il m'avait convié, se déroule. Et comme toutes ces autres personnes qui auraient du passer leur nuit sous leur couette, l'ordinateur sur les genoux et une série devant les yeux, je me rends là où la musique est trop forte, l'alcool trop présent dans nos corps, les paroles trop osées, les corps trop mouvementés, les âmes trop embrouillées, les gestes trop déplacés. Mais ce n'est pas grave, car le lendemain, personne ne se souvient de tout.
La soirée battait son plein. J'ai toujours trouvé que cette expression ne veut rien dire, pourtant on la connait tous. On l'utilise tous. Comme une infinité d'autres expressions qui n'ont aucun sens et qui pourtant font partit de notre langage courant. J'ai toujours comparé ce genre de phrase avec moi. Personne ne cherche à nous comprendre, parce que ça n'intéresse pas les gens de savoir. C'est ennuyeux d'apprendre encore plus de retenir. Parce que la connaissance entraîne forcément la compétition. Alors savoir peut être un plaisir, mais comprendre est accablant. C'est pour cela, qu'il y a des choses qu'on comprend immédiatement, d'autres qu'on ne comprendra jamais. Tout comme les gens. La différence est que ces phrases sont utilisées et moi je suis ignoré.
La musique formait un bourdonnement dans mes oreilles, les adolescents n'étaient plus que des ombres, des silhouettes sans importance. Tant bien que mal je me levais pour rejoindre l'extérieur. L'air frais fouettait mon visage engourdit. Tous mes membres jouissaient de la bise qui s'abattait sur eux.
- Niall ! S'est écrié William en me voyant. Je suis heureux de te voir ce soir ! Il a craché de la fumé sur mon visage et j'ai apprécié l'odeur du poison.
Entre son index et son majeur se tenait la cigarette qui se désintégrait seconde par seconde. Je l'ai fixée quelques instants. Il l'a de nouveau apportée à sa bouche et je l'ai regardé faire. Lentement je me suis assis dans la pelouse, à ses pieds, puis il a fait pareil. Machinalement, j'ai commencé à arracher des petites touffes d'herbe. C'est étrange comme l'être humain est rempli d'automatisme. On aura beau être tous différents, il y a ces choses que l'on fait tous. Marcher lorsqu'on est au téléphone, arracher l'herbe lorsqu'on y est installé, appuyer sur les bleus pour voir s'ils nous font mal, mettre le doigt dans un gateau au chocolat pas cuit pour goûter la pate. Se ne sont que des choses simples de la vie courante, mais il existe tant d'autres automatisme plus complexe. Cette notion d'automatisme a été créée il y a longtemps déjà. En 1757 par le physiologiste* Réaumur. Ce mot désigne un accomplissement d'actes involontaire. Mais c'est Pierre Janet en 1889 qui a véritablement introduit le terme dans le domaine psychologique. Pour lui il s'agit d'une activité humaine dans ses formes les plus simples, les plus rudimentaires.
- Et donc, pour toi, c'est un gars du XIXème siècle qui explique pourquoi on tond la pelouse lorsqu'on y est installé ? Dit William en rigolant.
- Je ne dis pas qu'il explique ce fait, il a juste mit un nom sur cette action. D'ailleurs ce n'est pas n'importe quel "gars du XIXème siècle". Janet était d'abord un philosophe, puis un psychologue et enfin un médecin français. C'est une figure majeure de la psychologie française de son époque. Il a même crée le terme de subconscient ! Pour moi, c'est probablement le théoricien de l'hypnose et l'hypnothérapeute** le plus intéressant de cette époque. Pour ce qui en est de l'automatisme, Henri Wallon, a distingué deux types d'automatisme. Le premier c'est l'automatisme naturel , qu'il a nommé instinct naturel, qui est plutôt minoritaire chez l'Homme et qui consiste en un enchaînement d'action répondant à un événement de nature à déterminer une excitation détectable par une réaction chez un organisme vivant, autrement dit, un stimulus*** donné . Le second est l'automatisme artificiel, qui est un moyen dont dispose l'organisme pour gérer son rapport avec le milieu par la mise en forme précise de son activité de relation. L'automatisme artificiel serait alors composé d'éléments simples, intériorisés, et organisés qui, en se recomposant de façon souple, engendrent un comportement adapté à une situation particulière.
- Tu sais beaucoup trop de choses pour ton âge Niall. M'avait-il dit en souriant. Tu veux tirer ? Il m'avait demandé en me tendant sa cigarette. Je savais qu'il changeait de sujet car il ne comprenait pas vraiment tout ce que je racontais.
- Dis que ça ne t'intéresse pas ! J'ai rigolé, puis j'ai pris le petit cylindre entre mes doigts pour l'apporter à mes lèvres. J'avais déjà volé quelques cigarette dans le paquet de mon frère pour fumer en cachette quand nous vivions encore en Irlande.
- Sincèrement, ça a l'air vraiment super intéressant, mais là c'est trois heure du matin, j'ai bu, j'ai fumé. Je ne suis pas sur que mon cerveau te suive. J'ai souris. Je ne savais pas que tu fumais.
- Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas.
- Je vois ça, il a sourit.
J'ai fermé les yeux et j'ai terminé la clope qu'il m'avait donné. Puis j'en ai pris une autre, et peut-être encore deux ou trois. J'ai accompagné la nicotine de quelques verres d'un alcool inconnu et j'ai gardé les yeux fermé pour laisser tout ce mélange me faire partir loin le temps de la nuit. On est resté un long moment comme ça, soudainement une agitation s'est créée autour de nous et sans que je ne comprendre quoi que se soit, une main s'est abattue sur ma joue durement. J'ai immédiatement ouvert les yeux, et j'ai fais face aux pupilles inquiètes de mon frère. La réalité refaisait surface.
* Un physiologiste est quelqu'un qui étudie le rôle, le fonctionnement et l'organisation mécanique, physique et biochimique des organismes vivants et de leurs composants
** L'hypnothérapeute utilise l'hypnose (état de profonde relaxation) pour soulager la douleur, renforcer la confiance en soi, guérir les phobies,...
*** Un stimulus, dans le domaine de la psychologie, de la biologie et de la physiologie, désigne tout ce qui peut provoquer une réaction dans un système organisé et vivant.
