— Je me demande ce qu'il va bien pouvoir nous dire.

Clara monta le son. L'image n'était pas nette et sautait beaucoup ; le vieux moniteur de Georges commençait à faire son temps. Gilles lui asséna deux ou trois coups bien placés et l'image se stabilisa sur une salle bondée de journalistes. Les caméras se massaient devant la scène où se dressait un pupitre bardé de micros. Tous attendaient l'arrivée du nouveau président, et le commentateur exprimait à lui seul, à travers ses mots et ses intonations, l'impatience de tous les spectateurs.

Dès les premières secondes, Clara remarqua que quelque chose n'allait pas. Dans la salle où se déroulait la conférence, elle apercevait sans effort le nombre trop important d'hommes armés. Devant chaque issue, devant chaque fenêtre, régulièrement postés autour de l'assemblée de journalistes... il y en avait partout. Elle ne voyait pas Éric, mais elle le savait, là, au milieu de ses semblables, pris au piège de son métier.

Quand le porte-parole se présenta, les flashs se multiplièrent. Cette fois encore, le nouveau représentant de l'état se dérobait au peuple qui l'avait élu. L'homme se positionna devant le pupitre, deux gardes armés s'installèrent à chaque issue. Le trio du bar s'en émut et Gilles le premier condamna cette démonstration de force, avant de la comparer à celle des dictateurs de certains pays d'Afrique ou du Moyen-Orient. Toutefois, ce qui quelques années plus tôt aurait paru choquant voire provocant, n'interpellait aujourd'hui plus grand monde. La criminalité en constante croissance dans Clarme justifiait de telles mesures, et même l'ancien président se parait d'une escorte dissuasive à chacune de ses sorties. Clara comptait parmi les derniers récalcitrants et son regard était inévitablement attiré par les pistolets bien visibles qu'ils portaient sur eux. Une hostilité presque palpable régnait dans la pièce.

Le porte-parole, dissimulé derrière de grosses lunettes qui dévoraient presque la moitié de son visage, se défit de son chapeau pour la première fois, et dévoila une chevelure courte et claire. Elle se pencha vers l'écran pour mieux distinguer ses traits mais le vieux poste lui refusait tout détail superflu. Alors, il prononça les premiers mots et comme à l'accoutumée, Clara se tétanisa. Cette impression de danger, encore.

Ses traits lui étaient familiers et sa voix lui hérissait le poil. Ils s'étaient déjà rencontrés... mais à quelle occasion ? Sa mémoire refusait de faire les bonnes associations.

Ses premières annonces, qui portèrent sur le programme contre la délinquance et l'augmentation de la criminalité, provoquèrent un tollé général : il annonça, ni plus ni moins, que des troupes militaires allaient être débarquées dans les quartiers les plus mal famés pour y réprimer sans ménagement les fauteurs de troubles. Sous prétexte de sécurité, il affirmait n'avoir pas d'autre choix que de faire « table rase » du passé et de repartir sur de bonnes bases. Clarme « bénéficierait » la première du tout nouveau dispositif, qui s'étendrait dans un second temps à tout le territoire.

Boris adressa un regard perplexe à ses deux collègues.

— Euh... vous avez compris comme moi ?

— Ouais, répondit Gilles. Ça sent pas bon du tout. Il essaie même pas de maquiller.

Il se tourna vers Clara, l'air suspicieux.

— T'en dis quoi ?

Il insistait... Mais Clara n'en savait pas davantage. Elle pinça les lèvres, encore indécise : soit un fou dangereux venait d'accéder au pouvoir, soit un sorcier fou dangereux venait d'y accéder. Dans les deux cas, Clara pouvait difficilement intervenir de manière discrète. Il attirait bien trop l'attention. Quant à la manière forte, elle rechignait encore à l'employer.

Les Fossoyeurs (L'Hybride, livre 2)Where stories live. Discover now