Chapitre 1

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On éteignit les lampions et Mademoiselle Pony apparut sur le perron, un large sourire aux lèvres

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On éteignit les lampions et Mademoiselle Pony apparut sur le perron, un large sourire aux lèvres. Elle tenait entre les mains un énorme gâteau aux fraises débordant de crème, sur lequel brulaient vingt-six bougies. La famille et les amis proches, assis autour de la grande table rectangulaire que l'on avait installée pour l'occasion dans le pré, devant l'orphelinat, se mirent à entonner le célèbre chant de circonstance :

Bon anniversaire

Nos vœux les plus sincères

Que ces quelques fleurs

Vous apportent le bonheur

Que l'année entièreVous soit douce et légère

Et que l'an fini

Nous soyons tous réunis

Pour chanter en chœur

Bon anniversaire

La vieille femme posa le plat devant Candy qui examinait le dessert avec gourmandise. Les flammes des bougies dansaient devant son joli visage, l'éclairant d'une lueur fauve nuancée de bleu qui accentuait l'éclat de ses yeux.

– Vas-y, souffle ! - fit l'un des petits pensionnaires de l'orphelinat, impatient d'avoir un morceau de gâteau dans son assiette.

La jeune blonde se leva en souriant et d'un signe de la main, convia sa meilleure amie, Annie, à l'accompagner dans sa tâche. N'avaient-elles pas été trouvées le même jour sur le seuil de la Maison Pony ? C'était d'ailleurs ce jour là qu'on avait choisi comme date de naissance, date que Candy avait toujours conservée mais que les parents d'Annie avaient préféré modifier après son adoption. Ils l'avaient ainsi reculée de quelques semaines afin de l'accorder à son âge véritable, et plus certainement dans le but de la différencier de sa soeur de coeur. Annie célébrait donc depuis ce jour son anniversaire en avril, mais continuait de le fêter dans son coeur le même jour que Candy. Ce fut donc sans hésitation qu'elle rejoignit son amie qui l'attendait en bout de table.

Penchées au dessus du gâteau, en appui sur leurs mains, elles prirent une profonde inspiration et s'exécutèrent, secondées discrètement par les enfants qui les entouraient. Les bougies furent éteintes en quelques secondes sous les applaudissements de tous. Un léger nuage de cire encore chaude s'éleva devant elles, répandant une odeur que Candy appréciait plus particulièrement et qui lui rappelait des moments sereins : les soirs de Noël, les cierges de Soeur Maria à la chapelle, l'éclairage intime lors d'un bon bain, et bien entendu, les bougies d'anniversaire...

On ralluma les lampions et l'atmosphère de guinguette qui avait accompagné le repas se ranima. Il faisait très doux en cette soirée de mercredi 7 mai 1924 si bien qu'on avait décidé de dîner dans le jardin. Les rosiers d'Anthony que Candy avait fait planter tout autour quelques années auparavant exhalaient leur parfum délicat, diffusé par une brise légère qui s'amusait à se faufiler entre les convives. Invisibles dans l'herbe, on entendait les grillons chanter, signe annonciateur d'un prochain été caniculaire.

Cela faisait déjà plusieurs années que Candy était revenue vivre à la maison Pony. Le docteur Martin avec lequel elle avait travaillé à Chicago, avait ouvert une clinique à La Porte, petite ville de vingt mille âmes située à quelques kilomètres de l'orphelinat. Depuis la fin des travaux d'agrandissement qu'Albert avait généreusement financés, le nombre d'enfants avait augmenté, et en conséquence, le nombre de petits malades. Devant les difficultés de mademoiselle Pony et Soeur Maria à soigner tout ce petit monde, l'idée de proposer au docteur Martin de s'installer dans les environs lui avait traversé l'esprit. Albert lui avait alors cédé pour un prix dérisoire un terrain que la famille André possédait en périphérie de la ville, et, pour faciliter la mise en route de cette entreprise, avait investi une somme importante dans le capital de départ. Il savait que le docteur Martin n'était pas bien fortuné et il n'avait pas voulu lui donner l'impression de lui faire la charité. C'est pourquoi, ce système d'association en affaires avait très bien convenu aux deux hommes : l'un pouvant construire sa clinique sans soucis d'argent, tandis que le second permettait à Candy de se rapprocher de la maison Pony.

Ce fut donc sans grand regret que Candy avait quitté son poste de jeune infirmière à Chicago pour celui d'assistante du docteur à La Porte. Le quotidien rural avait rapidement conquis ses moeurs de citadine, laissant Annie perplexe. Cette dernière se demandait encore, même après tout ce temps, comment elle pouvait se priver aussi facilement de l'excitation de la ville, de ses bruits, de sa foule, de ses immeubles qui frôlaient le ciel, de ses boutiques de mode et de ses restaurants français. Candy lui répondait alors qu'elle appréciait la ville, mais que le calme de la campagne lui convenait mieux, qu'elle s'y sentait plus dans son élément et que c'était le seul moyen pour elle de se ressourcer. Elle savait que cela impliquait un sacrifice, celui de vivre éloignée de personnes qu'elle aimait tendrement, mais ce soir, elle était comblée car, pour la première fois depuis des années, étaient rassemblées autour d'elle pour son anniversaire, toutes les personnes chères à son coeur : Annie et Archibald, Albert, Tom et sa jeune épouse, et aussi Patty, avaient fait le déplacement pour cet heureux jour. Cette dernière, était professeur de littérature anglaise dans un des collèges les plus huppés de New-York, et avait dû négocier ferme auprès du directeur pour obtenir quelques jours d'absence en dehors des vacances scolaires. Elle était tellement heureuse de pouvoir faire la surprise de sa venue à Candy.

La jeune infirmière rayonnait de joie. Avoir tous ses amis réunis à l'orphelinat représentait le plus beau des présents. Certains chers à son coeur lui manquaient pourtant cruellement mais elle pouvait sentir leur présence réconfortante tout près elle, comme une main invisible et rassurante posée sur son épaule.

- Alistair, ce grand gourmand, n'aurait jamais manqué ce moment – se dit-elle en ricanant intérieurement – Et Anthony... Anthony n'est jamais bien loin de toute façon... - ajouta-t-elle en clignant des yeux pour chasser les larmes perfides qui piquaient ses yeux. Arborant alors son plus beau sourire, elle brandit un gros couteau qu'elle planta sans aucune hésitation dans le moelleux gâteau.

Tandis qu'elle était occupée à couper des parts et à en faire la distribution, Soeur Maria revint de l'intérieur de la maison avec un panier débordant de papiers et de boites de toutes les couleurs qu'elle déposa aux pieds de Candy avec un clin d'œil complice. La jeune femme se hâta de servir tout le monde puis, un demi-sourire aux lèvres, entreprit l'ouverture de ses paquets, sous le regard empreint de curiosité des invités. Elle débuta par les cadeaux des enfants qui consistaient en des dessins, des petites sculptures en terre, des colliers, des bracelets de fleurs, une multitude de ravissantes et attendrissantes choses qu'elle rangerait plus tard bien précieusement dans le coffre de sa chambre. Elle les remercia les uns après les autres, serrant leurs bonnes joues entre ses mains, et les couvrant de baisers sonores.

Il restait encore deux cadeaux au fond du panier. Le premier s'avéra être un parfum à la violette de Toulouse, une fragrance fabriquée dans ladite ville aux briques roses du sud-ouest de la France. Un petit mot affectueux de Soeur Maria et mademoiselle Pony l'accompagnait. Candy appréciait énormément le geste mais ne put s'empêcher de les gronder pour avoir dépensé une petite fortune dans l'achat dudit ce parfum. Emue, elle ouvrit le flacon, et la fraîche odeur de fleurs s'empara de ses narines, une odeur délicate et raffinée qui l'envouta tout de suite. Du bout du majeur, elle en recueillit quelques gouttes et s'en caressa le creux de la gorge, enchantée par le doux effluve qui se diffusait sur sa peau. Elle ferma les yeux un instant pour mieux le savourer, puis referma le flacon et le rangea avec précaution dans sa boite, non sans gratifier les deux maîtresses de maison d'un large sourire plein de reconnaissance.

Le dernier cadeau avait une étrange allure. Ce n'était pas une boite recouverte de papier argenté, ni nouée de rubans. C'était une simple enveloppe de taille moyenne mais d'une épaisseur certaine. Intriguée, Candy déchira l'un des côtés de l'enveloppe et en retira une série de documents : une réservation pour le premier juillet en première classe sur le paquebot Le France au départ de New-York vers Le Havre, puis un billet de train pour Le Havre-Paris, et enfin, un billet sur l'Orient Express à destination de Venise en Italie. Elle leva des yeux stupéfaits vers ses amis qui l'observaient d'un air très satisfait.

– Mais qu'est ce que ?... Mais c'est trop !... Enfin... Je... - bredouilla-t-elle, cherchant dans leur regard une explication.
– Ma chère Candy... - fit Albert, de sa voix chaude et rassurante - Nous avons pensé que tu travaillais beaucoup trop et qu'un petit séjour en Europe te ferait du bien.
– Mais vous n'y pensez pas ! Je ne peux pas... – s'écria Candy en secouant la tête – Je ne peux pas quitter la clinique comme cela, on a besoin de moi !
– Ne te fais aucun souci pour cela. Je me suis arrangé avec le docteur Martin pour qu'il te donne six semaines de congés.
– Six semaines, mais c'est de la folie !!!

Elle porta la main à son front comme si elle venait de prendre un coup de massue, roulant des yeux dans tous les sens. Les épaules d'Albert se secouèrent de rire.

–Voyons Candy !... Il te faudra bien cela si tu veux pouvoir profiter des alentours. Parvenir à destination ne se fera pas en deux jours !...

Il s'attendait à la réaction négative de sa jeune protégée et avait tout prévu pour neutraliser la moindre de ses dérobades. Il avait néanmoins volontairement omis de lui dire que la décision de l'envoyer si loin de La Porte procédait en grande partie de la mine sombre qu'elle affichait depuis des mois et de l'inquiétude que cela suscitait auprès de son entourage. Annie s'en était confiée à lui quelques semaines auparavant alors qu'il était venu lui rendre visite, un dimanche après-midi, dans la somptueuse demeure d'été qui appartenait à ses parents. Située à mi-chemin de la Porte et de la maison Pony, le jeune couple Cornwell avait coutume de s'y rendre le week-end, ce qui permettait à Annie de veiller discrètement sur son amie.

C'était une vieille bâtisse d'architecture Victorienne qui avait conservé toute sa prestance. En arrivant, Albert avait ressenti un pincement au cœur au souvenir des quelques fois où il s'y était rendu avec sa sœur quand ils étaient enfants. Sa tendre sœur ainée, partie si jeune et laissant ce pauvre Anthony bien seul et bien solitaire... Avec le recul, il s'en voulait de n'avoir pas été plus présent auprès de lui. Il aurait dû cesser de fuir ses obligations familiales et aurait dû renoncer à sa vie de vagabond à ce moment là. Mais Anthony semblait si heureux en compagnie de ses cousins qu'il s'était senti rassuré et avait continué à l'observer de loin. Jamais il n'aurait imaginé le funeste destin qui l'attendait...

– Je croyais que Candy devait se joindre à nous... - avait-il fait remarquer en acceptant gracieusement la tasse de thé qu'un valet de la jeune épouse Cornwell lui tendait.
– Elle le devait en effet... - avait-elle répondu en soupirant.

Elle était assise en face de lui, les jambes élégamment rassemblées sur le côté, sur une banquette de style empire dont le tissu pourpre contrastait étroitement avec la blancheur nacrée de sa robe.

– Mais elle s'est décommandée au dernier moment sous prétexte d'un travail urgent... – avait-elle poursuivi avec une moue dubitative, agitant d'une main nerveuse le long collier de perles qui pendait à son cou gracieux.
– Elle prend manifestement son métier à coeur, c'est très louable de sa part mais...
– ...Mais se tuer au travail ne l'aidera pas à chasser les idées noires qui hantent son esprit – l'avait-elle interrompu en cherchant l'approbation dans son regard. Ce dernier, sans mot dire, avait reposé sa tasse de thé sur la table basse devant lui, patienté jusqu'au départ du domestique, puis avait déclaré, en regardant sa jeune hôtesse droit dans les yeux.
– Je crois que nous partageons la même opinion sur Candy... Et sur la source de ses tourments...

Annie s'était redressée dans un vif élan, portant la main à son coeur.

– Oh Albert ! Je suis tellement soulagée de savoir que vous êtes de mon avis ! J'ai bien souvent essayé d'en discuter avec Archibald, mais il devient incontrôlable quand il s'agit de... de Terry !... Vous voyez, même devant vous, je peine à prononcer son nom tant le sujet est sensible ! Candy ne m'a pas mieux facilité les choses sur ce point. Pendant toutes ces années, je l'ai vue afficher une joie de vivre que je trouvais bien des fois excessive, et qui cachait un mal-être qu'elle refusait elle-même de concevoir. Je ne compte plus le nombre de jeunes hommes charmants qui lui ont été présentés et qu'elle a repoussés. J'avais pourtant eu grand espoir avec ce jeune médecin qui était parvenu à lui arracher un troisième rendez-vous, mais il m'avait confié quelques temps plus tard avoir fini par renoncer à se battre contre un fantôme, un fantôme dont il ignorait l'identité mais dont la présence envahissante lui avait révélé l'impossibilité de construire un jour quelque chose avec elle. Je pensais alors que l'annonce du décès de Suzanne Marlowe lui aurait permis de considérer l'avenir sous de nouveaux auspices. Je croyais innocemment qu'elle se précipiterait auprès de Terry. Mais, contrairement à ce que je pensais, elle se contenta d'accueillir la nouvelle avec une complète indifférence. Elle ne prononça aucun mot sur lui mais s'empressa de s'apitoyer sur le sort de cette fille qui avait brisé leur vie ! Il est des moments où je ne la comprendrai jamais ! Elle trouve des excuses à tout le monde, même à ses pires ennemis !
– En effet, l'indulgence de Candy, une grande qualité, peut devenir chez elle son plus grand défaut – avait opiné Albert en souriant, ravi de découvrir une facette inconnue de son interlocutrice. L'indignation lui colorait les joues et exaltait le ton de sa voix, si neutre de coutume. S'était-elle jamais mise en colère ? L'état de Candy semait manifestement la révolte dans son coeur, et le patriarche de la famille André en était intérieurement satisfait. Il était bon de savoir que sa fille d'adoption pouvait compter sur une amie fidèle et dévouée.
– Toutes ces années à taire son chagrin – avait soupiré cette dernière - à refuser le bonheur qui s'offrait à elle, comme une veuve fidèle à sa promesse. Toutes ces années dédiées entièrement à son travail, à ses patients, comme si eux seuls méritaient que l'on prenne soin d'eux. Je la soupçonne d'être convaincue de ne pas être digne d'être heureuse, que ce genre de condition ne lui est pas destiné.
– On ne pourrait pas lui en vouloir de le croire. Chaque personne qu'elle a aimée lui a été enlevée... Cela ne favorise pas l'estime de soi...
– Elle est pourtant si combattive pour les autres ! Pourquoi ne l'est-elle pas autant pour elle ?
– Tout bonnement parce-que, comme nous venons de l'évoquer, elle ne veut plus souffrir. Faire un geste vers Terry reviendrait à prendre le risque d'être une nouvelle fois déçue...
– A ce propos... Pourquoi ne lui a-t-il toujours pas écrit ? Après tout ce temps, c'est quand même incroyable ! Plus d'un an s'est écoulé depuis le décès de Suzanne et il ne lui a pas encore donné signe de vie ! Je vois Candy sombrer un peu plus chaque jour dans la morosité et je persiste à croire que c'est à cause de lui. Je la soupçonne d'avoir nourri le secret espoir qu'il la contacterait. Son silence la ronge à petit feu !
– Je crains malheureusement qu'il ne fasse rien pour la revoir. Ces deux êtres sont si semblables : l'un est convaincu de porter malheur, l'autre de ne pas mériter le bonheur. Quand bien même s'ouvrirait un boulevard devant eux, ils ne feraient pas un pas l'un vers l'autre...
– Que pouvons-nous faire alors ??? – s'était-elle écriée dans un trémolo, les yeux embués de larmes – Allons-nous rester ainsi sans rien faire et la laisser malheureuse toute sa vie ?
– Bien sûr que non, mon amie – avait répondu Albert en étirant ses longues jambes, un mystérieux sourire s'esquissant sur ses lèvres – Je crois qu'il est grand temps d'agir pour le bien de notre chère Candy.
– Nous en avons que trop perdu ! - s'était-elle exclamée en sautillant dans son fauteuil, les mains jointes de contentement – Dites-moi, comment allons-nous nous y prendre ?
– Je dois t'avouer que j'y réfléchis depuis un moment déjà et que j'ai ma petite idée sur le sujet. Je dois encore m'assurer de quelques détails mais je crois que Candy ne sera pas au bout de ses surprises...
– Nous ne serons pas trop de deux pour cela. Je suis impatiente de commencer à vous aider !
– Je parierais que Patty, elle aussi, ne dirait pas non à cette initiative, qu'en dis-tu ? N'habite-t-elle pas New-York ? - avait-il fait remarquer, une pointe d'ironie dans la voix.

Il n'avait pas achevé sa phrase qu'Annie se précipitait déjà vers son téléphone pour indiquer à l'opératrice le numéro de Patty...

Lettres à JulietteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant