20. Une dernière fois

5K 378 31
                                    

Il s'endort aussitôt, mais je ne trouve pas le sommeil. En attendant, je relis encore et encore notre conversation. Ça n'a aucun sens, pas vrai ? Je refuse de croire qu'il a passé la nuit avec une autre fille, ce ne serait pas logique qu'il aille aussi loin pour me provoquer. A force d'y réfléchir, je plonge dans les bras de Morphée, épuisée.

Au réveil, nous ouvrons les cadeaux en famille autour d'une grande table garnie de nourriture. Des livres, des vêtements, des chaussures, des objets insolites en rapport avec des souvenirs. J'ai même un porte-clé en forme de plume : quand j'étais petite et que mes parents m'emmenaient au zoo, je courais après les oies parce que je trouvais que leurs plumes étaient douces et jolies. Il ne manque plus que Taylor et tout serait parfait... Maman dit qu'il nous observe depuis les Cieux.

Nous partons aux alentours de 18 h de la maison, Adam a l'air plus détendu et il m'avoue qu'il a flirté avec ma cousine la veille durant le trajet. Je lui réponds simplement qu'il fait ce qu'il veut, mais à condition de ne pas blesser Juliette. Mon père s'est chargé de dire à ma mère ce qu'il en est d'Adam une fois partis, il a vu à quel point ça m'a fait mal de la voir le serrer dans ses bras en disant « à bientôt » et la tristesse dans les yeux d'Adam.

— Je te dépose chez toi ?

— Non.

Il détourne les yeux du volant, je mords nerveusement ma lèvre et reprends la parole :

— Tu sais où se trouve l'arrêt de bus Starry Night ?

— Ouais, c'est à l'entrée de Denver.

— Tu peux m'y emmener ? Lukas m'attend dans les environs, inventé-je.

Je descends de sa voiture, le remercie de m'avoir accompagnée jusque chez mes parents et j'attrape mon sac. Il me souhaite une bonne journée avant de démarrer et je regarde la rue devant moi. Mon sac sur le dos, je marche jusqu'au chemin de terre, tire la grille et grimpe sur la colline en quelques minutes. Je vérifie bien qu'Elijah ne soit pas dans les parages et souffle de soulagement. Sa voiture n'est pas là, il n'y a personne à son refuge plein air.

Arrivée au sommet, je lâche mes affaires au sol et regarde l'horizon avant d'inspirer en fermant les yeux. Ça fait du bien. Le soleil est presque déjà couché et je souris bêtement en me souvenant d'Elijah regarder les étoiles avec moi. Je garde quand même les bonnes choses qu'il m'a donnée dans un coin de ma tête, même s'il m'a manipulé et menti. Je ne m'étais jamais autant sentie aimée qu'en sa présence.

— Le lieu te plaît tant que ça au point d'y rester plus de deux heures ? intervient une voix que je connais trop bien.

Je me statufie et tourne la tête pour le voir. Mais je n'aperçois que sa silhouette dans le noir. Depuis combien de temps est-il ici ?

— Laisse-moi, Elijah, murmuré-je comme une complainte.

Les poings serrés contre mes cuisses, mes ongles se plantent dans mes paumes. C'est censé être douloureux, mais j'ai tellement mal à l'intérieur que je ne sens presque rien.

— Je croyais que tu t'étais définitivement barrée de ma vie.

Je déglutis en voyant la silhouette grandir et je ravale mes larmes en sentant un pincement au cœur. Celui-ci est tellement lourd dans ma poitrine...

— T'as fini de réfléchir ? Je t'ai entendue chanter tout à l'heure. Pourquoi cette chanson ? La nôtre, précise-t-il en s'arrêtant à trois mètres de moi.

Parce que je pensais à toi. Encore. Je blêmis et efface rapidement mes larmes en mordant ma lèvre.

— Dis-moi que tu n'as pas oublié cette nuit, continue-t-il. Dis-moi que tu t'en souviens, je ne veux pas que tu l'oublies.

Mon visage se décompose littéralement. Tout à coup, j'imagine qu'il s'approche de moi, me dise qu'il n'a jamais joué avec moi et qu'il se jette sur mes lèvres en me disant qu'il m'aime. Mais ce n'est qu'un leurre. Il ne le fera pas. Je ramasse mes affaires à un mètre de moi, mais lui ne bouge pas d'un poil.

— Reste-là.

Je relève la tête et fais tomber mon sac, surprise. C'est la dernière fois que je viens ici et également la dernière que je le vois.

— Viens. S'il te plaît, chuchote-t-il en étendant ses bras.

Mon instinct me pousse à avancer et j'entoure son bassin de mes bras en me cachant sous un pan de son sweatshirt. Il pose sa bouche sur mes cheveux et je retiens une salve de larmes.

— Je ne peux pas faire ça...

Je le repousse doucement en sentant ses mains sur ma taille et il baisse la tête en pinçant ses lèvres.

— Une contradiction à toi toute seule...

— Ferme-la, me braqué-je.

Un rire de gorge secoue sa poitrine et je récupère mon sac par terre.

— C'est la dernière fois...

J'ai du mal à achever ma phrase puisque ma gorge se noue soudainement. Est-ce que ça lui fait mal, d'être rejeté ? Non, bien sûr que non. Il s'en fiche de toutes façons.

— C'est la dernière fois que l'on se touche, tu entends ?

— Rappelle-moi pourquoi tu veux établir une putain de distance ?

— C'est... quelque chose... d'impossible à vivre... Je ne peux pas faire ça...

— Impossible à vivre ? Mais de quoi tu parles, bordel ?

C'est normal qu'il ne comprenne pas. Il ne sait pas ce que ça fait d'être amoureux.

— Je... Je dois y aller.

Il hurle mon nom, je dévale la pente en pleurant et j'entends ses pas me suivre.

— Emy !

Je remonte la rue en marchant rapidement, mais sa respiration haletante derrière moi se manifeste. Mon regard se pose sur sa voiture et mes larmes redoublent.

— Emy ! hèle-t-il.

Je ne l'écoute pas, il frappe le capot du plat de la main en haussant le ton et je cesse de marcher.

— Monte. Tout de suite.

— Tu n'as pas d'ordres à me donner, pesté-je en le fusillant.

Il ignore ma remarque d'un geste de la main et sa mâchoire se crispe.

— Tu sais que tu ne peux plus me fuir. Tu le pouvais avant, mais plus maintenant. C'est trop tard.

— Tu ne comprends pas, je dois m'éloigner de toi, Elijah. Définitivement.

— Pourquoi ?

Cette question me retourne l'estomac.

— Enfoiré de menteur obsédé, grogné-je.

Il ricane, un sourire en coin figé sur ses lèvres, et il secoue la tête, me rappelant de monter dans sa voiture.

— Donc tu ne diras rien..., conclue-t-il. Je te ramène, viens.

— Non, réponds-je.

— Dans la voiture.

Son ton est sec et je prends conscience qu'il se contrôle pour ne pas s'énerver. J'en ai envie, mais qu'est-ce que ça voudrait dire ? Qu'il veut s'assurer que je rentre en un morceau ? Qu'il veut me protéger ? Qu'il veut passer du temps en ma compagnie ? Je n'ai pas besoin de quelqu'un pour veiller sur moi et je ne veux pas qu'il fasse ça. Pas lui.

— Je prends le bus, Elijah.

— Monte dans cette putain de bagnole !

Et c'est ainsi que j'obtempère : en le voyant fou de rage que je n'aille pas dans son sens.

La seule chose qui pourrait réellement m'aider, c'est qu'il tombe amoureux de moi, mais c'est tout bonnement inimaginable.

Alchimie littéraireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant