Chapitre 2

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Josh revint deux jours plus tard pour renouveler ses emprunts. Comme à son habitude son livre n'avait pas duré. Il l'avait dévoré. C'était une romance érotique. Son goût prononcé pour ce style d'écriture avait beaucoup étonné Margaret dans un premier temps. Mais en l'observant attentivement, elle avait compris à quel point il était à fleur de peau et sensible. Elle s'était pris d'affection pour ce solitaire qui n'hésitait pas à sortir les griffes si on entrait dans son espace vital. Elle avait été surprise de le voir assumer ses lectures avec autant d'aplomb. C'était souvent orienté vers un public féminin mais rien ne lui faisait plus plaisir que de le voir s'animer dans le rayon dès qu'il avait trouvé son bonheur. Cela lui réchauffait le cœur.

- Bonjour mon grand, comment vas tu ?

- Bonjour Margaret, comment allez vous aujourd'hui ? répondit-il, éludant sciemment la question.

C'était un petit jeu entre eux. Il s'abstenait de répondre et elle lui tirait les vers du nez. Du moins, elle essayait. Il était toujours étonné par sa ténacité. Il était resté distant et froid dans son attitude et elle s'évertuait à l'accueillir avec chaleur. Cela le déstabilisait.

- Tu as regardé le tableau ? lui demanda-t-elle d'un air taquin.

- Pourquoi l'aurais-je regardé ? lâcha-t-il agacé.

Il avait passé une sale journée à cause de son oncle. Une crasse. Une de plus. Il aurait pu se construire un toit avec le nombre de tuile qu'il avait connu depuis son plus jeune âge. Il n'avait pas de patience. Il avait beau apprécier Margaret, il n'était pas d'humeur pour leur petit jeu du chat et de la souris habituel. Il préféra foncer dans le fond de la bibliothèque avant qu'elle n'ouvre à nouveau la bouche.

Il avait besoin de se changer les idées. Il ne savait pas trop ce qu'il voulait lire. Son seul critère était de rire un peu. Il en avait besoin. Il fureta un peu jusqu'à ce que son regard soit attiré par une couverture pétante où était représenté un chat avec un bonnet péruvien. Il avait un air tellement blasé que Josh se sentit sourire. En lisant le quatrième de couverture, il se dit qu'il avait trouvé son bonheur.

Ça avait l'air complètement déjanté. Il se dirigea vers l'accueil. Aujourd'hui il n'avait pas envie de s'attarder, il préférait retrouver son petit studio miteux à l'abri des regards pour pouvoir rire et pleurer en paix, en un mot, exprimer ses sentiments. Les livres lui permettaient de ne pas péter les plombs comme avant. Il travaillait dur, cumulait tous les boulots qui passaient pour aider sa "famille", mais ça s'apparentait plus à de extorsion qu'autre chose. Sa mère était devenue invalide à la suite d'un grave accident du travail. La responsabilité de son employeur n'avait pas été remis en cause.

Ça se passait souvent comme ça dans ce genre de boulot. A partir de ce moment là Josh avait dû trouver des solutions pour subvenir à leur besoin. Il s'était débrouillé pour que son petit frère et sa petite sœur soient confié à leur tante. Il pensait avoir fait un bon choix à l'époque. Il voyait la possibilité de leur offrir un meilleur foyer, qu'ils mangent à leur faim tous les jours. C'était sans compter son oncle. Très vite ce dernier y avait vu une possibilité de lui réclamer une pension, enfin réclamer... exiger serait le terme le plus exact. Il faisait pression sur les petits, Josh avait beau payer mais ce qu'il donnait ne suffisait jamais.

Il avait fini par arrêter l'école pour cumuler tout type de travail pour éviter que les petits ne soient trop sous l'emprise de cet homme. Leur tante les protégeait au mieux. Aujourd'hui encore n'avait pas fait exception. Il avait eu l'honneur de voir son oncle complètement ivre venir le menacer. A bout, Josh avait failli lui sauter à la gorge. Il avait fallu quatre de ses collègues pour le maitriser. Malheureusement, le patron en avait eu vent, et il l'avait renvoyé. Pour une fois qu'il trouvait un boulot correct, il fallait que son oncle vienne encore tout gâcher. Ravalant cet élan de haine qui ne demandait qu'à le submerger, il se dirigea vers le comptoir des emprunts. Margaret l'attendait, souriante comme s'il n'avait pas été désagréable avec elle quelques minutes plut tôt. Il sentit l'aiguillon de la culpabilité quant à son comportement.

- Tu as regardé le tableau ? lui demanda-t-elle à nouveau, l'œil pétillant.

- Pourquoi tu me poses cette question depuis tout à l'heure ? grogna-t-il en lui offrant à nouveau à sa plus belle tête de mal embouché.

- Va voir par toi-même si tu veux une réponse, lui rétorqua-t-elle sans se départir de son sourire.

Toujours d'humeur orageuse, il tourna les talons pour voir ce qu'il en était. De prime abord, il n'y avait pas grand changement par rapport à d'habitude. Le tableau prenait vie petit à petit s'emplissant et se nourrissant de tout ce qui l'habillait. Josh jeta un coup d'œil rapide mais ne vit rien. Il jeta un regard à Margaret disant "et ? ". Cette dernière se contenta de continuer de sourire. Il se mit à scruter attentivement le tableau, se concentrant sur sa tache pour faire diminuer son agacement. Décidément Margaret pouvait être très casse pied quand elle avait une idée en tête. Fichue bonne femme. Avec humeur, il regarda de plus près chaque ajout qui avait été fait. Ce ne fut que lorsqu'il regarda son haïku qu'il remarqua la petite luciole à côté du nom de l'auteur.

- Qui a fait ça ? demanda-t-il incrédule.

- Hum, je sais pas. J'étais en train de travailler quand j'ai entendu le crissement de la craie sur le tableau. Le temps que je relève la tête il n'y avait plus personne ! J'ai bien cru voir quelqu'un mais je ne saurai pas te dire à quoi il ressemble !

- Bizarre. Je ne vois pas qui pourrait s'intéresser à ce que j'écris franchement....

- C'est vrai qu'on se le demande...

Elle laissa sa phrase en suspend et sembla tout à coup très absorbé par ce qu'elle faisait. Josh n'en demanda pas plus. Il lui tendit le livre et la vit sourire à nouveau.

- Tiens, on dirait que tu as besoin de te divertir.

- Ça se voit tant que ça ?

- Disons que je suis bibliothécaire depuis plus de 40 ans mon garçon, je sais cerner les gens à ce qu'ils lisent. Et te concernant, je ne peux que te recommander ce livre. Il m'a fait passer du rire aux larmes. Il est fantastique. Tu me diras ce que tu en penses quand tu l'auras dévoré.

Elle lui adressa un clin d'œil avant de scanner sa carte de bibliothèque. Il récupéra ses affaires et s'en alla sans un mot. Elle était habituée et n'en prenait pas ombrage. Elle était peinée lorsqu'elle le voyait avec une mine pareille. Elle se doutait bien que ce n'était pas facile pour lui. Elle se levait pour faire le tour des rayons pour prévenir de la fermeture de l'établissement dans la demi heure lorsqu'elle vit un individu vêtu d'un sweat-shirt s'approcher du tableau. Elle n'arrivait pas à voir son visage à cause de la capuche et de ses longues mèches de cheveux. Elle ne fit pas un bruit et le laissa faire. De temps en temps il jetait des coups d'œil furtif, comme s'il avait peur de se faire repérer. Il prit la craie et commença à écrire quelque chose en dessous de la luciole.


De chaque objet que l'on pose

Il naît quelque chose

Qui ressemble à l'automne.

Aratika Moritake



Dans le plus beau silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant