Chapitre 1

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Josh passa devant l'accueil de la bibliothèque. Comme à son habitude il se dirigea directement vers les nombreux rayonnages de livres. Il y avait trois types de personnes qui venaient ici. Ceux qui réservaient en ligne et passaient juste récupérer leurs emprunts quand ils avaient une minutes, ceux qui commandaient leurs livres via les bornes électroniques pour ne pas avoir à les chercher et enfin, ceux qui comme lui prenaient le temps de fureter dans les rangées pour trouver son bonheur. Là aussi on pouvait encore trouver d'autres catégories de personnes mais c'était une autre histoire.

Ce n'était pas un rat de bibliothèque dans sa jeunesse. Loin de là. Cependant, depuis quelques temps, ce lieu lui offrait un havre de paix. La première fois qu'il avait franchi ces portes, il cherchait à s'abriter d'un orage qui venait d'éclater. Il avait tourné dans le hall devant les portes pendant un moment. Une vieille bibliothécaire était venue à sa rencontre.

- Venez vous mettre au chaud, l'invita-t-elle.

- Je ne suis pas trop fan de bouquins... lui avait-il répondu, mal à l'aise.

- Entrez, les livres ne vont pas vous manger, lui avait-elle dit avec un sourire bienveillant. Rien ne vous empêche de vous promener dans les allées ou de venir vous poser un petit moment. Vous ne serez pas dérangé.

Face à autant d'insistance, il s'était laissé convaincre. Il émanait de cette femme une douceur et une gentillesse à auxquelles il n'avait pas été habitué. Il était solitaire de nature et se débattait depuis tellement longtemps pour vivoter qu'il ne savait plus ce qu'était la bonté. Il s'était avancé un peu méfiant entre les rangées et avait pris un livre au hasard dans les rayonnages avant de s'asseoir dans un des fauteuils confortables mis à disposition. De temps en temps il avait regardé autour de lui, persuadé qu'il allait être chassé à tout moment. Il avait commencé à feuilleter le livre qu'il avait emprunté au hasard et s'était vite retrouvé absorbé par ce qu'il lisait. C'était une anthologie de haïkus. Il s'était senti transporté par tant de beauté, d'émotions et poésie transmis par si peu de mot. Il en avait perdu la notion du temps. Lorsqu'il avait senti une main sur son épaule, le retour à la réalité avait été brutal.

- Nous allons fermer jeune homme lui, avait-elle dit avec douceur. Je vois que ce livre vous a plus. Si vous le souhaitez, vous pouvez l'emprunter.

- C'est que... Je n'ai pas d'argent... lui avait-il répondu très mal à l'aise mais tenté par sa proposition

- Vous savez, l'emprunt de livres est gratuit. Vous avez un délais pour nous les ramener. C'est la condition sine qua none. Sinon vous payer une amende. Je vous fais la carte et après je ferme.

Avant qu'il ait eu le temps de dire quoi que ce soit, elle s'était dirigée d'un pas décidé vers le bureau avec le livre qu'elle avait eu l'habileté de lui prendre des mains. Il l'avait suivi, un peu perdu et désarmé face à cette femme aussi gentille que caractériel. Il était parti avec le livre et depuis, il dévorait tout ce qui lui passait sous la main.

Ce lieu était devenu son refuge, le seul endroit qui lui permettait de fuir la réalité de son existence pendant un laps de temps. Le monde ne lui plaisait pas. Les livres lui apportaient ce que les humaines ne pouvaient lui offrir. Il passait des heures dans cette pièce. Le seul endroit de sa connaissance où l'odeur de l'ancien se mariait si bien avec celle de la nouveauté. Toucher le papier lui donnait des frissons. Il se sentait vivre dans cet espace. C'était son monde. Il aurait aimé y vivre à jamais mais l'existence en avait décidé autrement.

Depuis peu, la directrice de la bibliothèque avait installé un tableau où tout le monde pouvait s'exprimer que ce soit un simple mot, une phrase, une critique, un poème ou encore un dessin. Il était écrit au dessus de celui-ci "Exprimez-vous". Margaret – la vieille bibliothécaire, - lui avait expliqué qu'elle espérait voir des liens se tisser à travers les mots, que ce tableau devienne un lieu de rencontre pour exprimer amour, fraternité et amitié. Josh l'appréciait beaucoup en partie pour sa foi en l'être humain et son optimisme à toute épreuve. Il l'admirait pour cela. Petit à petit, le tableau était devenu un lieu de rencontre, d'échange et de communication à lui seul. Tous les lundis matins, il était effacé afin que de nouveaux utilisateurs puissent écrire leur prose. Josh n'avait jamais osé y laisser un message. A de nombreuses reprises, Margaret l'avait incité à participer mais il regardait ce mur noir avec méfiance, comme si il allait l'engloutir et il savait au regard pétillant de la vieille femme qu'elle avait une idée derrière la tête.

Comme à chaque fois il hocha la tête et continua son chemin. Il s'installa comme à son habitude dans un de ces fauteuils douillets et confortable et se laissa absorber par la poésie. Cependant, lorsqu'il referma son livre, il fut tellement bouleversé qu'il se décida à partager son ressenti. Il prit l'une des nombreuses craies et nota dans un coin un haïku qui traduisait tout ce qu'il voulait communiquer.

L'automne se termine
Qui pourrait comprendre
Ma mélancolie.

Yotsuya Ryu

Il déposa la craie et partit sans jeter un regard en arrière. Margaret le regarda sortir, un sourire au coin des lèvres puis se réabsorba dans son travail. Un jeune homme frêle et chétif s'approcha à son tour du tableau. Margaret releva la tête en entendant la craie crisser. Le garçon reposa précipitamment la craie et partit en courant. A côté du haïku, on pouvait voir une petite luciole dessinée avec un grand soin. 


Dans le plus beau silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant