Chapitre 12

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Cécil était assis face à la baie vitrée panoramique qui couvrait la façade ouest du Bureau, la suite personnelle dans laquelle il passait le plus clair de son temps de travail. Seuls les mouvements de ses yeux, visibles sous ses paupières baissées, trahissaient l'intense activité à l'œuvre dans sa tête. Multi-splitté, chargé en Q, c'est sous la forme d'un être aux multiples dimensions, aux pensées protéiformes, commandant d'une petite armada d'Assistants, tant organiques qu'algorithmiques, qu'il accomplissait ses tâches quotidienne.

Le soleil couchant frappait à pleine puissance le dôme, qu'on avait éclairci au maximum en cette fin de journée afin d'emmagasiner de la chaleur avant la nuit. Les tours agricoles du sud passaient peu à peu en éclairage artificiel, un étage après l'autre, au fur et à mesure que l'ombre gagnait les hauteurs de la ville.

Le Frère secrétaire l'avait introduite sans consigne particulière. Elle ne dit rien, garda ses implants bridés comme il était de mise, et attendit. Au bout d'une poignée de minutes le Pii ouvrit les yeux et inspira, comme au sortir d'une longue apnée. Il était revenu – du moins en partie.

« Parle, Questeuse.

— Il y a bien eu contact, Pater, peu avant l'assassinat de Xilien. Quelqu'un est entré en interaction avec Lakti dans une suite privée jouxtant le harem supérieur du Milk. Et cette personne, je peine à le dire, n'est autre que Dokan. »

Naïa fit une courte pause, attentive à la réaction de son maître. Elle scruta le visage du Pii mais n'y vit aucun signe particulier, à l'exception d'une légère crispation de la mâchoire, qui disparut rapidement. Elle poursuivit :

« Nous n'avons évidemment ni témoin ni enregistrement mais nos recoupements sont on ne peut plus clairs. Il a pris toutes les précautions nécessaires pour éviter d'être repéré par des moyens légaux, dont il connait précisément les limites, mais il savait qu'en cherchant bien, l'Opus trouverait. J'ai même l'impression qu'il voulait que nous sachions, mais sans rien pouvoir prouver, sauf à produire des preuves obtenues par des moyens illégaux... Sa façon, sans doute, de nous narguer... Bref, comme tu le sais, il est dans les attributions de Dokan de...

— Je connais ses attributions, coupa Cécil, et ses sales petites habitudes... Parle-moi du mode opératoire.

— Il est encore inconnu et pourrait bien le rester, tant les corps ont souffert. Notre scénario favori est celui d'une contamination par nanorobots, porteurs d'un brin de code viral capable prendre le contrôle de l'implant de la fille et de déclencher une boucle mortelle de saturation. Les nanorobots devaient être contenus dans un fluide corporel quelconque, sueur, salive, sperme. Leur objectif atteint, le plus probable est qu'ils aient été évacués par voie urinaire et détruits par le système d'épuration des eaux usées. Autant dire qu'on n'en retrouvera jamais la trace.

— Quid des implants ?

— Ce qu'il en reste révèle que la crise épileptique a été induite par deux processus parallèles et complémentaires. Le premier est plutôt classique, si l'on peut dire, et consiste en une saturation du cortex biologique via l'exocortex numérique. Le code malveillant s'est installé dans le système d'exploitation de l'implant de la fille et a déclenché son attaque dès que le couple a été syntonisé. Les deux implants étant à ce moment intimement liés, ils sont partis en vrille de concert. Ils ont submergé les deux cerveaux d'un torrent d'impulsions sensorielles de plus en plus intenses, jusqu'à saturation complète des zones connectées, dérèglement des fonctions cognitives, défaillance des fonctions cérébrales primaires et finalement arrêt cardiaque. Le second phénomène est plus innovant : les implants, via la pile biologique qui les alimente, se sont mis à pomper toute l'énergie cardiaque disponible, pour la transformer en impulsions électriques cérébrales de plus en plus fortes, jusqu'à court-circuiter les synapses neuronales. Certaines zones du cerveau ont été carbonisées, d'autres bouillies. Cette combinaison a provoqué la mort clinique au bout de six minutes, sans aucune chance de sauvetage, dans une panique abominable et des douleurs paroxystiques.

Néo ParisWhere stories live. Discover now