Chapitre 2

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Calisté Pycke se redressa, reprit ses esprits. La descente était rude, pavée de spasmes et de douleurs. Sa dose de quartzine consumée, elle quittait les hauts plateaux des sessions splittées et réintégrait la sphère du commun des bionautes. Elle se mit off, au bord de la nausée, le cerveau saturé. Titubant jusqu'à la salle d'eau de son labo privé, elle se laissa glisser dans son bain osmotique. Les millions de médibots(3) incrustés dans sa peau se mirent à l'ouvrage et très vite les toxines accumulées dans son organisme, produits de la métabolisation de la quartzine, entamèrent leur migration vers la solution qui emplissait la cuve. Elle respira mieux et se détendit. Un jour ce truc te tuera, pensa-t-elle avant de sombrer.

Une micro-sieste plus tard elle était de nouveau sur pieds. Ses implants reconnectés au réseau sécurisé de nTech, elle reprit le cours de ses pensées là où elle l'avait laissé au moment de sa descente. Elle devait au plus vite passer en revue et archiver tout ce qu'elle venait de récolter, sous peine de le perdre : les données et souvenirs de sessions splittées sont volatiles et capricieux, souvent partiels, parfois inutilisables. Penser de nouveau à vitesse humaine, et en une seule dimension, était extrêmement frustrant mais elle ne pouvait multiplier à l'infini les sessions sous Q, dont elle prenait déjà des doses déraisonnables.

Ses deux bots(4), pilotés par leur IA autonome, lui rapportaient une belle moisson d'informations. Le premier, un collecteur de données, avait percé les défenses d'une base de données secondaire de Next, le très populaire moteur de recherche de bionet, et récolté les logs et données privées de treize mille skycitizens et quarante-sept mille néo-parisiens. Surement de quoi glaner quelque scandale, quelque secret, dont elle pourrait nourrir Leaks et son public affamé. En une demi-heure Calisté termina l'extraction et le criblage des fichiers piratés puis les exporta vers l'un de ses conteneurs logiques privés, pour exploitation future. Les petites mains anonymes de l'organisation auraient bientôt de ses nouvelles, et une belle dose de data à miner.

Puis elle s'intéressa à son deuxième bot, son maraudeur. Il s'était dans un premier temps introduit par injection matricielle dans le serveur d'un sous-traitant périphérique de l'Opus, trop faiblement protégé. Là, il avait muté en un vrai-faux robot de maintenance, doté de privilèges élevés, chargé de scanner l'intégralité des serveurs de son secteur, officiellement à la recherche d'erreurs d'indexations, de fichiers corrompus ou de clusters endommagés. Il avait ainsi pu sauter de machine en machine, parcourir toutes les arborescences jusqu'aux plus obscurs sous-répertoires sans attirer l'attention, en quête de tout fichier au contenu prometteur. Au bout de quelques heures il avait ferré un gros poisson, sur les machines d'une équipe de maintenance du pôle de régulation des flux bionet : une base de données relative au trafic informatique du Pilier, ventilée par service et par étage !... Une vraie mine ! Un truc si énorme qu'il était proprement incroyable qu'il ne fût pas dûment chiffré et protégé, ou qu'il n'ait pas été tout simplement détruit. Calisté ne put s'empêcher de sourire : le facteur humain avait encore frappé, réduisant à néant les trésors d'ingéniosité procédurale que mettait en œuvre l'Opus pour protéger la sécurité de ses petits secrets.

Ony voyait l'intense activité qui régnait dans les étages du Primat et de sesministères, du Conseil et de ses commissions, des hautes et bassesadministrations, et même du très opaque Service Renseignement Sécurité... Maisc'étaient les chiffres relatifs à l'Opus qui s'avéraient les plus surprenants :ils dépassaient à eux seuls le cumul de tous les autres. Une activitécomplètement disproportionnée pour un organe simplement censé assurer leroutage du trafic, garantir l'intégrité du réseau et surveiller l'orthodoxie d'utilisationdes données par les tiers autorisés. Un tel volume puait la surveillance demasse, le profilage systématique, l'ingénierie sociale illicite, voire même,diraient certains, la manipulation généralisée. Et le détail du 241ème,l'étage privé du Pii, était littéralement effarant : il représentait à lui seulprès du tiers du trafic total de l'Opus et il était à l'origine de la plupartdes pics d'activité inexpliqués que Low Tech avait détectés de longue date, quiavaient donné lieu aux interprétations les plus délirantes et alimenté lesfantasmes les plus paranoïaques. À défaut d'en connaître la nature précise,Calisté tenait enfin la preuve qu'un seul homme, Cécil Kaän, tout-puissant chefdu tout-puissant Opus, était derrière tout ça !


(3) Médibot : nano-robot médical

(4) Bot : robot informatique

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