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Cette journée est un enfer. Pour tout le monde. Une semaine de plus
c’est écouler. Un mois il avais dit le toubib. Même si nous savons tous que ce mot, « mois », n’a jamais eu d’autre raison d’être que de donner un ordre de grandeur. Parce qu’il a fini par s’écouler, ce foutu mois. J'aurais fais huit semaines. L’équivalent de deux mois. Le double. Mais j’arrive au bout du bout. Et que tous ceux qui sont là, autour de moi, me surveillent comme si j’étais une bombe à
retardement. Carine étais sortie elle a fini par revenir, juste avant que nous passions tous à table. Laetitia c ’était mise aux fourneaux pour
préparer le plat favori de notre enfance : la mique au petit salé. Ma mère lui avais appris a la faire, et Laety maitriser désormais ce plat a la perfection. La fessant toujours dans le grand faitout qui avais appartenu a mon arrière grand-mère. La fameuse caméra était là, avec nous, son œil rouge fixé sur moi. J’ai fait mon possible pour l’oublier, mais je me sentais tendue comme une corde prête à
Se briser. Après, j’ai dû me coucher. Dormir. Perdre encore quelques heures de cette vie qui s’échappe. Pour la première fois, je me suis
demandé si j’allais arriver à sortir du sommeil. J’ai eu peur de me laisser aller. Mais la fatigue a été la plus forte. Je le sais, de toute façon, qu’elle sera la plus forte. Qu’elle m’entraînera avec elle. Maintenant, j’attends.
J’attends l’échéance. J’oscille entre la lassitude, l’enthousiasme et la
trouille. Lassitude, parce que l’attente est épuisante émotionnellement et que je commence à en avoir marre de vivre des « derniers ». Aujourd’hui, sans aucun doute possible, cette fois-ci c’est mon dernier vendredi. J’ai peut-être vécu mon dernier repas de midi. Mon dernier café. Que j’ai
préparer dans ma petite cafetière italienne rouge. J’ai failli dire « un petit dernier pour la route ». Et puis, je me suis retenu. Tu parles d’une route. Une impasse, oui. Avec un mur au fond. Que je ne vais pas tarder à me prendre dans la figure. À moins que je ne passe à travers. Comme les sorciers, dans Harry Potter , quand ils vont prendre leur train sur la voie 9
¾. Oui, c’est plutôt ça. Je vais le traverser, ce mur. Et de l’autre côté… « À quoi tu penses ? Demande Jenny.
— À ce qu’il y a de l’autre côté du mur.
— De l’autre côté du mur ? » Ma sœur fronce les sourcils et se tourne
vers le mur qui nous fait face. Celui qui nous sépare du jardin. En d’autres temps, sa réaction aurait pu me faire rire.
Aujourd’hui, je n’ai même pas l’énergie. Je me contente de préciser ma pensée. « C’est une image. Le mur. De ce qui m’attend. » Le regard de Jenny revient sur moi. Clair, tendre, inquiet. « Tu crois qu’il y a quelque
chose après ? » Je la sens plus curieuse que dubitative ou étonnée. Mais ce qui m’agace, c’est qu’elle n’ait pas dit le mot. LE mot. « Après la mort,

tu veux dire ? » Ma sœur se trouble, mais je ne la lâche pas des yeux et elle connaît mon opinion sur ce sujet. Alors, elle prend son courage à deux mains.
« Après la mort, oui. » Je lui souris. « Tu vois, ce n’est pas si difficile à dire
! Et pour répondre à ta question, non, je ne crois pas qu’il y ait quelque chose après la mort. Je n’y crois pas. Je me suis toujours dit que mourir c’étais un peu comme naître mais a l’envers. Le rien avant le rien après. Mais je l’espère. Ce serait plus cool. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? » S’ensuit une discussion généralisée. Neji, Louis, Laetitia, Carine : chacun y va de son avis sur la question. De son ressenti. De ses questionnements.
Je savoure ce moment de vérité. Personne ne juge personne. Il y a une telle qualité d’écoute que j’ai l’impression de l’entendre vibrer dans l’air de la pièce. C’est un beau moment. Que nous n’aurions jamais vécu si je n’en étais pas là. Encore une fois, mes pensées me ramènent vers ma mère. Qu’est-ce qu’elle m’aura accompagnée, pendant cette période ! Comme si elle venait me prendre par la main. Pour m’aider à traverser le mur. Comme pour traverser la rue quand j’étais petit. Je repense à ses derniers jours à elle. Notre dernier moment ensemble . Son geste d’au revoir. Elle n’avait rien dit, mais tout était là. Une émotion violente et
douce me saisit. Est-ce qu’elle m’attend, derrière le mur ? À cette pensée, l’enthousiasme m’envahit. La retrouver, de quelque façon que ce soit, quel bonheur et papa si il savais comment il me manque chaque jour! J’ai hâte. Mais si ils n’étaient pas là ? S’il n’y avait rien ni personne ? Cette
fois, c’est la trouille qui se réveille. La peur du vide. On dit toujours qu’il n’y a rien de pire que de ne pas savoir. C’est sans doute pour ça que la mort nous fait si peur : parce que nous ne savons pas en quoi elle consiste. En attendant, ça y est, je l’ai vécue, mon mois. Jusqu’au bout, et même au-delà. Ça se fête. « Tu nous sers l’apéro ? » Laetitia a l’air surpris par ma demande, mais ne fait pas de commentaire. Jenny s’en charge pour  elle. « Un apéro ? T’es sérieux?
— On ne peut plus sérieux. Il ne faut pas se laisser abattre. Et puis, c’est peut-être notre dernier soir tous ensemble. Il faut en profiter, non ? » Jenny se trouble, puis hoche la tête.
« Tu as raison. On va profiter de cette soirée. » Du fond de mon fauteuil, je les regarde tous s’agiter. Sortir des verres d’un placard. Déboucher une bouteille. Verser des olives dans une coupelle. Ouvrir un paquet de pistaches. Couper des tranches de saucisson. Éplucher et émincer des carottes. La table basse du salon se remplit. Je ne dis rien. Je savoure l’instant. Une seule personne manque a mon cœur pour que tout sois parfait. Cette personne que l’on m’as volé. Mais sereinement je l’accepte enfin..  Je souris La fatigue m’enserre de plus en plus. Comme une vieille couverture à laquelle je me serais habituée, dont l’odeur me rappellerait de bons souvenirs. Pourtant, je lève mon verre. « À nous tous. À la vie. » Parce que finalement, c’est tout ce qui compte. Célébrer la vie. Une minute ou cent ans. Avant que toute énergie ne me quitte, je prends un selfie (le dernier, c’est sûr. J’'en ai le pressentiment) et je l’envoie à Eden. À toi , me répond-elle. J’ai tellement sommeil, tout à coup. À croire que le verre de rosé au sirop de cassis que je viens de boire a suffi à me mettre KO. Dans une semi-inconscience, je me rends compte que Jenny et Carine me soulève et m’emporte. Les yeux clos je vois Eden elle me parle. Je peux  voir ses lèvres remuer mais pas l’entendre. Ma protectrice de toujours. Je presse ma joue contre la tête de Jenny.  Puis le noir.

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant