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La caméra et le micro sont toujours posés dans un coin où ils me font plus ou moins face. De temps en temps, mon regard est happé par la diode rouge qui m’appelle et je me demande ce que je pourrais dire d’intelligent ou de drôle

pour la postérité. Rien ne me vient à l’idée, évidemment. Alors, je préfère manger. Et puis, au fil du temps qui passe, j’oublie jusqu’à la présence de ce matériel, qui s’est transformé en un élément de décor sans importance. Pour tout dire, je me sens légèrement planer. Je remarque tout de même la façon dont Louis m’observe sans rien dire.
« Tu veux savoir quelque chose ? » Pour toute réponse, il détache ses yeux de mon visage et avale une gorgée de coca. Je sens qu’il hésite. «Louis ?
— Depuis que tu nous as dit ce qui se passait, je n’arrête pas de me demander comment je réagirais si j’étais à ta place.
— Mais tu n’es pas à ma place. Et la tienne n’est pas plus confortable. Alors, ne te prends pas trop la tête. — Je ne me prends pas la tête, je fais travailler mon
imagination… et je voulais te dire que, contrairement à ce que j’ai pu dire avant, je ne t’en veux pas d’avoir essayé de te suicider. En fait, je me demande si je n’aurais pas fait la même chose. Par peur de vous affronter. Ou de souffrir sur mes derniers jours » Muet, j’observe cet homme qui est mon fils. Il as deux ans de moins que Neji je suis sidérée par la maturité qu’il a acquise en même pas quarante-huit heures. La saloperie, en plus de prendre ma vie, est en train de faire voler en éclats l’insouciance de la jeunesse de mes enfants. À cause d’elle, ils sont obligés d’évoluer à vitesse grand V. De se poser des questions
auxquelles même moi, je n’ai pas pensé souvent. Alors si je me les suis
également poser, mais quand mes parents nous ont quitter. Et j’avais le double de leur âge.
« Personne ne peut savoir ce qu’il ferait à sa place, intervient Laetitia.
— Même moi, je ne sais pas trop ce que je fais, alors tu penses…» Ma
tentative d’humour tombe un peu à plat, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est encore trop tôt pour que Laetitia et les enfants arrivent à rire de la situation. J’espère que cela viendra. J’aimerais avoir encore l’occasion de rire avec eux. Mais bon, puisque le timing n’est pas bon, manifestement, je change de registre.

« Tu sais quand nous somme sous pression émotionnellement on ne contrôle pas toujours nos réactions. J’ai déjà perdu le contrôle deux ou trous fois dans ma vie. Alors n’essaie pas de deviner tes réactions, car face a certaine situation on se surprend soi-même. Et il ne faut pas que vous soyez tristes pour moi. Évidemment, j’aurais aimé vivre plus

longtemps. Connaître la génération suivante, dans l’hypothèse où elle existerait un jour… Mais globalement, je n’ai pas grand-chose à regretter. J’ai eu une vie bien remplie et heureuse.»

Aussitôt, je me rends compte de l’énormité que je viens de proférer. Et qui n’as rien à voir avec que je voulais dire. Tant bien que mal, je me rattrape. « Ce que je veux dire, c’est que je n’ai pas de regrets à avoir. Je suis plutôt content de ma vie. J’ai fait des trucs sympas. Il y en a même beaucoup dont je suis fière. Je vous ai eus, vous, tous les trois, à mes côtés. Et ça valait la peine. Alors, le bilan est plutôt positif. » À côté de moi, Laetitia serre les dents. De l’autre côté de la table, Louis et Neji ont
le regard fixe. Alors, j’enfile une nouvelle fois ce masque, vous savez celui qu’on as tous porter au moins une fois dans sa vie, et je souris. « Vous avez le droit d’avoir mal. C’est toujours plus difficile pour ceux qui
restent. Mais ne vous inquiétez pas pour moi. Franchement, ça pourrait être pire. Je ne souffre même pas ! Je suis juste en train de m’éteindre. Des tas de gens n’ont pas cette chance. » Pour un peu, je croirais à ce que je dis. Non, ce n’est pas pour un peu : je crois vraiment à ce que je dis !
Voir le verre à moitié plein, vous savez ? Jusqu’au bout. C’est vrai que des tas de gens meurent dans d’atroces souffrances. Moi, mis à part la fatigue et deux ou trois bricoles qui me ratatine de plus en plus et qui raccourcit mes journées, je n’ai pas à me plaindre de grand-chose. Évidemment j’ai des petits tracas qui sont apparu il me semble l’avoir dit. Mais j’ai pas un tremblement incontrôlable. Pas de crises de douleur. Franchement, c’est
la belle vie. D’accord, je vais mourir dans quelques jours. Mais au moins, j’aurai eu l’occasion de dire au revoir à ceux que j’aime. Et ceux à qui je ne l’ai pas dit je leur aient préparer des mots, et même de leur laisser
quelques bouts de vidéo. « Je me doute bien que c’est difficile à
concevoir, mais quelque part, on a de la chance. » Trois exclamations (de surprise, d’indignation ou d’effroi, je ne saurais dire) me répondent.
Alors, je me dépêche de préciser ma pensée. Tant qu’elle est à peu près nette ! « C’est une chance de pouvoir passer ces quelques jours
ensemble. En sachant ce qui va se passer. Même si on ne sait pas quand exactement ça va se passer. En tout cas, moi, je le vis comme une chance.
»
Cette fois, c’est le silence qui accueille mes paroles. À croire que celles-ci font leur chemin dans le cerveau de mes proches. Quand Louis se met à secouer la

tête, je me dis qu’il va me contredire. Ce qui ne m’étonne pas vraiment. Loulou c’est l’esprit de contradiction de la maison. Il est toujours prompt à moquer ma façon de voir le bon côté des choses. Il à surtout le dont de s’opposé a sa mère.
Comme dit l’expression ça fume entre eux par moment, combien de fois j’ai calmer la situation avant que Laetitia retourne sa colère sur moi. Et mon
Loulou, est plutôt du genre cynique et aussi je le souligne, car en ce moment vu la situation ça ne se ressent pas, mais le roi du sarcasmes. Il tient sûrement cela de moi. Mais a ma grande surprise, c’est tout le contraire qui se passe.
« Tu sais quoi ? Le pire, c’est que je pense que tu as raison. Et qu’on devrait se dépêcher d’en profiter. » Joignant le geste à la parole, il se lève, rapatrie sa chaise à côté de la mienne, s’assied contre moi et m’enlace. Un geste devenu extrêmement rare chez lui. Je suis déjà étranglée par l’émotion quand il plonge ses yeux dans les miens. « Je t’aime . Tu as été un papa géniale et tu vas
vachement me manquer. Mais je suis content de pouvoir te le dire. Et de te remercier. Pour tout… » Sa voix n’est plus qu’un murmure que le micro n’aura
sans doute pas tout à fait capté et quand il presse sa joue contre la mienne, je sens que nos larmes se mélangent. Et je suis incapable de prononcer le moindre début de mot…

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant