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D’abord, je ne comprends pas. Pourquoi Laetitia me parle-t-elle de Eden ? Elle ne peut pas la connaître. À moins qu’il ne s’agisse d’une autre Eden ? Et puis quoi, encore ? T’en as d’autres, des idées à la con comme celle-là ? Rappelle- moi à qui t’as envoyé tes derniers SMS ? Mais ce n’est pas en fouillant dans mon téléphone que Laetitia a découvert l’existence de Eden.
« Cette meuf m’a appelé ! Elle était inquiète parce que tu ne lui répondais pas. Elle m’a harcelé jusqu’à ce que je rentre à la maison. » Là, sa voix déraille. « Sans elle, je ne serais sûrement pas arrivé à temps… » J’apprends alors que mon tout dernier SMS, pourtant très vague et franchement sibyllin, a suffisamment mis la puce à l’oreille de la charmante Eden pour qu’elle tente de m’appeler.
Puis, comme mon portable était éteint, Elle à appeler Laetitia. Pourtant, je ne lui avais pas donné son numéro. Mais elle l’a trouvé. Comment ? Cette femme est un mystère de ce monde. Laetitia était au volant quand son téléphone a sonné. Une fois, deux fois, trois fois… Le numéro lui était inconnu, mais à la
quatrième tentative, elle a fini par décrocher via le Bluetooth de la voiture. S’est ensuivie une conversation surréaliste pour elle. « Laetitia ?

— Oui.
— Vous êtes avec Clark ?
— Pardon ? Mais qu’est-ce que ça peut vous faire ?! Et puis, qui êtes-vous ?
— Excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Mais mon nom ne vous dira rien. Je m’appelle Eden Eunice. J’essaie d’appeler Clark et il ne répond pas. Je suis
inquiète. Êtes-vous avec lui ?
— ...
— Laetitia? Je vous en prie. J’ai peur qu’il fasse une co... Qu’il fasse une bêtise. Pouvez-vous m’assurer qu’il va bien ? Êtes-vous avec lui ? Il a besoin de vous ! » Naviguant en plein cauchemar, Laetitia avait raccroché. Mais les mots de Eden avaient instillé un doute dans son esprit. Elle avait cherché un endroit où
s’arrêter. Et quand son téléphone avait re-sonné pour la troisième fois, affichant toujours le même numéro, Elle l’avait porté à son oreille sans rien dire.
« Laetitia, s’il vous plaît… Est-ce que Clark est avec vous ? Est-ce qu’il va bien ?
— Qui êtes-vous ? D’où le connaissez-vous ?
— Ce serait un peu long à expliquer et ce n’est pas le moment. Juste, dites-moi : est-ce qu’il va bien ? » Laetitia avait soupiré.
« Je n’en sais rien. Je ne suis pas avec lui.
— Alors, rejoignez-le. Vite. J’ai un mauvais pressentiment.
— Pressentiment de quoi ?
— Je vous l’ai dit, j’ai peur qu’il fasse une bêtise.
— …
— Laetitia ?
— Vous savez ?
— Quoi ?
— Vous savez qu’il va…
— Oui. Je sais qu’il va mourir. Qu’il est perdue. Et qu’il suffirait de pas grand- chose pour qu’il décide de devancer l’échéance. »
Un long silence avait suivi avant que Laetitia ne reprenne la parole.

« Je vais le voir.
— Au nom de dieu merci. Faites vite. »
Faire vite, c’était compliqué : Laetitia était à près de deux heures de route deja, en direction de Bordeaux. Elle a quand même fait aussi vite que possible. À l’arrivée, forcément, elle m’a trouvée affalée de tout mon long sur le canapé. Elle a compris. Elle s’est surtout senti vexé que cette
femme qu’elle ne connaissait pas ait vu venir quelque chose qui ne lui avait pas effleuré l’esprit une milliseconde. Elle ne pouvait pas savoir que Eden était pour le coup la personne la mieux placée au monde pour savoir exactement comment je me sentais.
« J’ai passé une semaine avec elle. Elle savait…
— Mais d’où tu la connais, celle là? Pourquoi tu ne m’as jamais parlé d’elle ?
— Parce que je ne la connaissais pas avant…
— Quoi ? » De stupéfaction, Laetitia se laisse tomber sur le lit à côté de moi. « Tu ne la connaissais pas… et tu as passer une semaine avec elle. Ce n’est pas clair », . Cette fois, c’est à mon tour de raconter. Comment j’ai pris le train sans savoir pour où, jusqu’à être arrêtée par la mer. Bon,
évidemment, je passe quelques étapes sous silence. Ma grimpette au sommet de la dune du Pilat, par exemple. J’évite aussi de dire que j’ai passé la nuit dans les bras de cette belle inconnue. Même si je ne le
regrette absolument pas : c’était ce dont j’avais besoin à ce moment-là.
Mais personne ne comprendrais. Puis Neji et Louis qui aiment Lise et espère son retour m’en voudraient fortement. Par contre, j’explique
comment Eden m’a aidée. Comment la perte de son copain et sa meilleur amie, quelques années plus tôt, lui a permis de trouver les mots pour me redonner un peu de courage. Et de comprendre certaines choses . « Vous voyez, dis-je en souriant, je n’ai pas été tout seul. Et c’était… C’était plus facile avec une inconnue. Parce que je savais que ma mort n’allait pas
être un grand problème pour lui. » Je me tourne vers Laetitia. « Tu l’as rappelé, après ? Eden. Tu lui as dit ce qui s’était passé ?
— Oui. Dès que tu as été entre les mains des médecins, je l’ai appelé. Je voulais comprendre pourquoi elle m’avait téléphoné. Pourquoi elle était si inquiète. » Eden lui avait parlé de mes SMS. De mon portable sur
messagerie. Elle lui avait surtout dit qu’à Arcachon, déjà, elle m’avait

rattrapée au bord du vide. « Je suis désolé d’être parti comme ça… murmure Laetitia. J’aurais dû comprendre que ce serait trop dur pour toi.
— Comment ça, parti ? s’affole Neji. Vous vous remis ensemble ?
— Non. C’est juste… Quand ton père m’a dit que… Qu’il ne lui restait que quelques semaines, je crois que j’ai disjonctée. J’ai pris ma voiture et je suis parti.
— Décidément, c’est une manie, grince Neji. Et prendre le téléphone pour nous mettre au courant, ça ne t’a pas traversé l’esprit non plus ? »
Instinctivement, je m’interpose entre la mère et le fils. Ou plutôt, je me positionne en relais entre les deux. Comme je l’ai toujours fait. « Ta mère a réagi comme elle a pu. On ne peut pas prévoir ce genre de chose. On ne peut qu’essayer de faire avec. » Là, tout à coup, me revient en
mémoire la mort de ma mère. À 21 h, ce soir-là, j'ai  téléphoner a Carine elle était sur place. Elle m’annonçait que c’était fini. Mais je le savais, je
l’avais senti. Oui je sais mon histoire peu paraitre incroyable sur certains points et pourtant. Des jours qui ont suivi, jusqu’à l’enterrement, je garde en même temps des souvenirs très précis de certains moments et une sensation de flou total. L’impression d’avoir vécu ces jours-là sans être vraiment là. Comme si une part de moi était restée avec elle, dans ce
cercueil capitonné de beige où je l’avais embrassée pour la dernière fois. Je me souviens m’être dit, avant le jour de l’enterrement, que je devrais m’emplir les yeux de son image au moment de la fermeture du cercueil, en faisant bien attention de ne pas cligner des yeux… et comment, ce jour venu, je m’étais en fait sentie incapable d’assister à cet instant-là. Je me souviens de ces fois où je ne voulais surtout pas qu’on me parle
d’elle. De ces autres où je ne voulais surtout pas qu’on me parle d’autre chose. J’oscillais d’un extrême à l’autre. Comme un enfant qui apprend à faire du vélo commence par slalomer de gauche à droite avant de finir par arriver à aller droit, il m’avait fallu du temps pour retrouver un
équilibre. Il faut croire que l’avant-mort se passe de la même façon.
Comme si je devais faire le deuil de ma propre vie avant de pouvoir la
lâcher vraiment. En tout cas, là aussi, je fais ce que je peux. Pas ce que je voudrais pouvoir faire…Dans ma vie trois fois je me suis retrouvé plongée dans les ténèbres. La perte de mon papa, celle de ma maman et quand on m’as voler ma Lise. Je vie la quatrième. La dernière. La plus intense. Je dois faire ce travail de deuil…

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant