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Au moment d’entrer dans la maison, une angoisse me saisit. Est-ce que tout est resté comme je l’ai laissé? Bien sûr, les enfants savent que j’ai essayé d’en finir encore un peu plus tôt que prévu. Mais le savoir est une chose ; voir en est une autre. Bêtement (ou pas), tout à coup, je voudrais leur épargner au moins ça.
Quand je me rends compte que tout a disparu, je me sens soulagée et plein de gratitude pour Laetitia. C’est forcément elle qui a rangé. Pourtant, je suis sûre qu’elle avait d’autres préoccupations que le ménage ! Mais elle l’a fait. Je ne sais

pas si c’était pour éviter à Louis et Neji de voir le bazar que j’avais laissé, ou juste par besoin de s’occuper pour rester accroché au réel, mais elle l’a fait. Et c’est tout ce qui compte. Maintenant que nous sommes là, tous les quatre, il y a un moment de flou. Qu’est-ce qu’on doit faire ? Comment on se comporte quand on sait que son Ex ou son père vit ses derniers instants ? J’imagine
qu’eux se demandent comment on fait pour tenir debout quand on sait qu’on n’en a plus que pour une poignée de jours. Ce qui me sidère, je me sens pas si mal que cela . Quelques étourdissements, de la fatigue, mais rien d’alarmant.
Je me met donc a leurs place et comprend leur interrogations. Moi aussi, je me le demande, d’ailleurs. Cela dit, de nous quatre, c’est tout de même moi qui ai
eu le plus de temps pour digérer le truc. Alors, j’ai comme l’impression que c’est à moi de prendre les choses en main. D’un pas décidé, je vais m’asseoir sur le canapé. Et je leur fais signe à tous es trois. « Venez. » Un peu hésitants, ils s’approchent. Puis Neji s’assied à ma droite. Un peu sur le bord. En biais.
Tournée vers moi, mais prêt à s’éloigner. À se sauver si nécessaire. Dans les deux sens du mot. Il y a des moments comme ça où, pour sa propre
sauvegarde, s’en aller est la meilleure chose à faire. Même si cela fait mal à
ceux dont on s’éloigne. Louis regarde Laetitia, et ce n’est qu’après que sa mère s’est assise sur l’un des fauteuils qui font face au canapé qu’il se pose à son tour à ma gauche. Lui s’assied bien au fond, dans une posture qui se veut
nonchalante. Mais le tressautement de sa jambe gauche me dit tout le
contraire. J’ai l’impression que s’il s’appuie sur le dossier, c’est plus pour s’éviter de trembler qu’autre chose. Les bras croisés, j’essaie de me concentrer. De réfléchir. Il faut que je leur parle. Mais pour leur dire quoi ? Qu’est-ce qu’ils
peuvent bien avoir envie d’entendre ? Comme je n’en sais fichtre rien, je préfère leur poser une question. « Qu’est-ce que vous avez envie de savoir ? » Un silence un peu gêné accueille mes paroles. Tous trois se regardent, plus ou moins à la dérobée. Finalement, c’est Louis qui se décide. « Comment est-ce
que tu as su ? » C’est sans doute la question la plus simple. Mais je réalise que c’est aussi la meilleure. Parce qu’elle va me permettre de reprendre les choses dans l’ordre et de raconter comment je suis passé d’un service basique à ma boutique, à la sidération la plus totale. Quand j’ai fini, Louis me prend la main. « Pourquoi est-ce que tu ne nous as pas appelés, à ce moment-là ? Au moins
Maman? » Toujours cette question. Mais c’est vrai, ça, pourquoi ? La vérité, c’est que je n’y ai même pas pensé. Et puis, que je ne pouvais pas. Dire les
choses, c’est les faire exister. Ça peut être très positif : quand on a un projet un peu fou, en parler, c’est la première chose à faire pour qu’il se réalise. La
première étape vers son accomplissement. Le souci, c’est que ça marche aussi

pour les trucs moins fun. Comme une mort annoncée. « Ce n’est pas contre vous. Mais je n’aurais rien pu dire. C’est… Il y a des mots qui sont difficiles à prononcer. Et difficiles à entendre, aussi. Et j’avais si peur. Je crois vraiment que j’avais envie de faire un déni.
— Et donc, concrètement, tu as fait quoi ? me relance Neji.
— J’ai pris le scooter. J’ai rouler sans savoir. J’étais vide. Puis un souvenir c’est glisser en moi. Celui d’un magnifique week-end a Arcachon. Alors je suis rentrée a mon appartement. J’ai essayé de dormir. Le samedi je me suis organisé et dimanche matin j’étais dans le train
— Comme ça… Pour aller au bord de la mer…
— Franchement, je n’en savais rien au départ. Je n’avais pas d’objectif précis. Juste fuir. Partir. — Et tu t’es retrouvée à Arcachon, s’agace Laetitia. Pour retrouver tes sensations de quand tu était avec l’autre.
— Oui. Ça s’est fait au fur et à mesure.
— Et là-bas, t’as fait quoi ? Ou plutôt : vous avez fait quoi, tous les deux ?
»
Ces derniers mots sont pleins d’amertume. Je comprends qu’elle soit blessé. Qu’elle se sente comme dépossédé de quelque chose. Elle n’as jamais réussi à faire le deuil de notre relation.
« Lundi, on est juste restés chez Eden. Quand elle m’a récupérée, j’étais crevée, gelée, en état de choc. Je n’avais rien mangé depuis un bout de temps. J’ai beaucoup dormi. On a parlé, aussi.
_ Ensuite ?
—Ensuite, On as bavarder, je me suis repris en main, on a fait un tour en mer. Elle a un voilier. On a mangé des moules . Écouté de la musique.
Profité de la vie. » Ma voix est tellement faible que je ne suis même pas sûre d’avoir prononcé ces derniers mots à voix haute. Profiter de la vie. Et c’est moi qui dis ça… Ça ne tient pas debout. D’ailleurs, je vois bien les
airs dubitatifs autour de moi. L’incompréhension que mes paroles
suscitent. Pourtant, c’est vraiment de ça que j’ai envie, finalement. Juste profiter de la vie. Celle qui me reste. Avec eux. Le mieux est de le leur
dire. « Je ne sais pas exactement quand… Enfin, combien de temps je vais encore tenir. Vendredi, le Dr Boduin m’a parlé de quelque chose de
l’ordre d’un mois. Ça fait déjà deux semaines et un jour. Alors… J’aimerais bien passer le temps qui me reste avec vous trois. Si c’est possible pour vous, évidemment. » Aussitôt, Neji réagit. Violemment. « Si c’est possible pour nous ? Mais évidemment que ça l’est ! Comment tu peux imaginer

qu’on puisse avoir envie d’autre chose que de rester avec toi ? Tu crois que je pourrais aller en cours, en sachant que bientôt tu ne seras plus là ?
— Neji a raison, fait Louis. Je ne comprends même pas que tu te sois posé une question pareille. On est là et on ne va pas te lâcher. » En face de nous, Laetitia est silencieuse. Je l’interroge du regard. « Clark, quand tu m’as rencontré… j’etais loin d’avoir une vie stable. Si aujourd’hui j’ai ma maison mes enfant et fait les formations que je voulais c’est grace a toi. Alors Ok. J’ai pas toujours était quelqu’un de bien et je fais partie de ceux qui on détruit ton couple. Mais dans les mauvais moments. Toi et moi on c’est toujours serrer les coudes. Je serais la jusqu’au dernier jours. Je souris. Heureux d’être là, avec eux. Maintenant qu’ils savent, j’ai la sensation que le plus dur est fait. Que je n’ai plus, effectivement, qu’à profiter de la vie. Et bon sang, qu’est-ce que j’en ai envie ! Plus aucune
idée de suicide ne me traverse. J’en viens même à me demander comment j’ai pu en arriver là… Ma main gauche dans celle de Louis, la
droite autour de celle de Neji, je me laisse aller contre le dossier. Ce n’est pas parce que je me sens bien que ma fatigue a disparu. L’ennemi qui a colonisé mes veines est toujours là, sans doute plus fort que jamais. En tout cas, il gagne du terrain. Mes paupières sont terriblement lourdes.
Mon souffle se ralentit. Je me sens glisser peu à peu dans le sommeil.

Et à la fin?Where stories live. Discover now