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Comme toujours, rationnel, Neji réagit le premier.
« Et tu sais ça depuis longtemps ?
— Deux semaines.
— Quoi ? Déjà deux semaines ? Et tu comptais nous le dire quand ? Tu dis que c’est une question de jours et… Et toi, s’énerve-t-il en regardant sa mère , tu le sais depuis quand ? Hein ? Plusieurs semaines aussi ? » Incapable de parler,
déstabilisé par la colère de Neji, Laetitia se contente de secouer la tête.
« Je lui ai dit dimanche soir. » Louis serre plus fort ma main dans les siennes. « Papa… T’as rien dit à personne pendant deux semaine ? Comment… Comment t’as fait ?! Je veux dire... C’est horrible d’apprendre un truc pareil et de rester tout seul ! » Mon fiston… Tellement toujours prêt à se mettre à la place des autres. Décidément ils sont des perles rare ses enfants. Neji a beaucoup
d’empathie toujour à …À comprendre les autres. À porter leurs douleurs. Faites qu’il arrive à se protéger suffisamment pour ne pas disparaître en même temps que moi…Neji, de son côté, reste pragmatique « Pourquoi tu ne nous as pas appelés pour nous le dire ?
— J’avais besoin d’encaisser avant de pouvoir en parler. Et puis, je ne me voyais pas vous dire ça au téléphone.
— C’est sûr que c’était vachement mieux de te suicider… Comme ça, y’avait rien à dire !
— Neji ! gronde Laetitia. Fais attention à ce que tu dis. Tu parles à ton père. »

Mon fils me fusille du regard sans prêter la moindre attention à sa mère. Je vois la colère palpiter à ses tempes.
« Franchement, tu pensais à quoi ? Tu t’es pas dit qu’on avait le droit de savoir ? Qu’on aurait envie… » Sa voix déraille. Il serre les mâchoires. Se récupère comme il peut. « Qu’on aurait envie de passer du temps avec toi ? » Il se tient toujours bien droit. Sa main tient toujours fermement l’épaule de son frère.
Mais son regard vacille. Comme ce jour où il avait avoué à Louis, qui revenais de l’hôpital e Limoge, qu’il avait eu peur pour lui. La culpabilité m’envahit, aussi subitement et complètement que la marée recouvre la baie du mont Saint-
Michel. « Je m’excuse, mon grand. Je…J’ai été lâche. Je ne savais pas comment faire… »
Les larmes affleurent à mes paupières. Je voudrais les retenir, mais je sais que c’est mission impossible. Et ce ne sont pas celles que je vois rouler sur les joues de Louis qui vont m’aider. « Je ne me sentais pas assez solide.
— Mais assez solide pour quoi, Papa ?
— Pour vous voir souffrir. Pour affronter ma peur. J’ai si peur en vrai. » Ma voix n’est plus qu’un murmure. Un filet de son qui se fait transparent. Comme le monde qui m’entoure est en train de perdre le peu de couleurs qui l’éclairent, au travers du brouillard qui s’échappe de mes yeux. Ça peut paraître fou, mais j’ai la sensation, physique, d’être en train de m’effacer de la surface de la Terre. Je bats des paupières pour tenter d’y voir plus clair. De les voir, eux, tant que je le peux encore. Je veux me nourrir de leur image. La graver à tout jamais au fond de moi. Peut-être que quand le corps est mis à la casse, la mémoire continue d’exister quelque part ? Dans le doute, je veux la remplir le plus
possible. Après tout, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. Non ? Si seulement je pouvais y croire. À la réincarnation. À la vie après la mort.
N’importe quoi qui implique que tout ne soit pas irrémédiablement fini d’ici
deux semaine. Bon sang, bientôt, j’aurai déjà dépassé la moitié de ce de foutue mois… À ce stade, même l’idée d’un possible purgatoire suffirait à me redonner un peu de ce souffle. Parce que les voir comme ça, tous les trois, les yeux rouges, les dents serrées et les joues transformées en cascades, ça me brise le cœur. Je savais que ce serait difficile. Je découvre que c’est insupportable. Les voir souffrir, c’est...Pardon je ne trouve pas les mots juste. Des hurlements
muets m’explosent dans la poitrine. Arrivent en vagues de plus en plus fortes.
Je me cambre pour essayer de les retenir à l’intérieur de moi, pour que mes enfants n’aient pas à supporter le spectacle de ma douleur. Le remède est

presque pire que le mal. Je n’arrive même plus à garder la bouche fermée. Je respire en saccades, hachée, lacérée… mais j’arrive à ne pas crier. Par contre, le bip s’affole et une infirmière débarque. Une que je n’ai pas encore vue. « Il faut vous calmer, monsieur, dit-elle d’un air sévère. Vous nous avez fait assez peur comme ça. » J’acquiesce, comme un bon petit garçon sage. Incapable de
répondre. D’ailleurs, qu’est-ce que je pourrais bien lui dire ? Et puis, je n’ai pas d’énergie à perdre avec des inconnus. Il me reste trop peu de temps pour que je puisse envisager de le gaspiller. « Si vous ne vous calmez pas, vous ne pourrez pas sortir. » Cette phrase m’arrache un hoquet. Bon sang, non, surtout pas ! Je n’ai pas décidé de ne pas essayer le traitement pour mourir quand même à
l’hôpital. Reprends-toi, Clark. Respire. La respiration est la clé. Il faut que tu sortes d’ici. Le plus vite possible. L’infirmière repart. Cette connasse ne s’est même pas demandé pourquoi tout le monde pleurait dans la chambre, alors qu’a priori une tentative de suicide raté, pour les proches, c’est plutôt une bonne nouvelle.
« Il n’y a rien à faire pour te guérir ? lance Neji. Ou au moins…
— Au moins me faire durer plus longtemps ? Non. J’ai demandé. » Inutile de parler de ce traitement aux résultats plus que hasardeux. De toute façon, je ne veux pas le tenter. Mais il faut croire qu’une part de moi s’inquiète à l’idée que l’un des trois se fasse suffisamment d’illusions pour essayer de me convaincre de tenter ma chance. En fait, je vois bien Louis dans ce rôle-là. En mode : au
pire, ça ne change rien ; au mieux, ça marche. Statistiques à l’appui. Sauf que pour le coup, c’est une certitude totalement irrationnelle qui me fait rejeter de toutes mes forces l’idée de risquer de partir en déliquescence totale dans un univers aseptisé. C’est viscéral. Certainement pas… Mon cerveau réagi.
« Ho, Clark ! Tu fais quoi, petit con. Toi qui as toujours combattu, jamais baisser les bras. Regarde ta vie mon con. Tu as un parcours de champion. Populaire au collège, populaire au Lycée, capitaine de ton équipe de basket, animateur radio, barman, tu as appris la guitare pour plaire à ta femme. Tu voulais essayer le cinéma tu as pu. Et tu voulais partir avec des médocs ??? Ok tu as eu des coups dur. La perte de tes parents et Lise . Et encore Lise c’est du a une bande d’idiots qui on rate leur vie. Alors tu vas rester KO comme ca ? Si il doit y avoir une fin. Que la fin soit belle ! Debout et bat toi !
Ha sacré petite voix. Mais elle a raison. J’accepte je vais mourir. Mais pas comme une merde. Ça non.
En attendant, c’est une autre question qui me préoccupe et me sort de ma discussion interne. « Comment est-ce que je me suis retrouvée ici ?
— J’ai appelé le SAMU, répond Laetitia.

— Comment ça ? Tu n’étais pas là. — Je suis rentré à la maison et je t’ai trouvée inconscient sur le canapé. Avec la boîte de somnifères vide. Même le plus crétin du monde aurait compris. » Il y a de la rancœur dans sa voix. De la colère. Elle m’en veut. Elle a sans doute raison. Mais j’ai fait ce que j’ai pu, comme j’ai pu.
Depuis ce fameux vendredi soir ou le docteur m’as appeler, je suis sur le fil du rasoir. Déjà, à Arcachon, il s’en est fallu de peu. Mais Eden m’a retenue. Cette fois, c’est Laetitia qui m’a fait revenir du néant. Jamais deux sans trois. Est-ce qu’il y aura une autre ?
tentative ? Est-ce qu’une autre main sera là pour m’arracher à mes peurs ? Mon Dieu, faites que j’épargne ça à mes enfants... C’est tout de même improbable que Laetitia soit rentré à temps pour me tirer d’affaire. À croire qu’il y a
quelqu’un, quelque part, qui tient à ce que j’aille au bout de ce foutue mois. Tout à coup, Laety renifle et frotte ses joues d’un revers de main rageur. « C’est qui, cette Eden ? »

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant