Chapitre 28 : Salsa de tomate

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L'intérieur est particulièrement déroutant ; pas que cela soit très surprenant, mais ça fait toujours de l'effet quand vous pénétrez à l'intérieur d'un bâtiment laissé à l'abandon. Sans compter que les plafonniers néon clignotent furieusement quand ils ne sont pas carrément hors-service. Le sol ? Recouvert de moisissure et de... fromage ? En tout cas, ça schlingue. Mais nos trois compagnons ne comptent pas rester camper sur place : ils trouvent la salle où sont stockées les trottinettes et ils sortent aussi vite qu'ils sont entrés. Ça, c'est en théorie. Selon le plan de Molly, cela devrait être un jeu d'enfants.

Le trio arpente les couloirs, le plus silencieusement possible, à l'affût du moindre petit bruit un chouïa suspect. Qui sait ? Il n'est pas à exclure qu'un groupe de survivants ait choisi d'élire domicile en ces lieux. Ce ne serait pas un cas à part : des rumeurs courent comme quoi des survivants auraient décidé de vivre dans un parc d'attractions. Alors, pourquoi pas une pizzeria ? Revenons à nos zom-zoms ! Le silence est assourdissant, insupportablement lourd et gênant. Si on oublie, bien sûr, la petite musique particulièrement casse-pied des néons situés au-dessus de la tête de nos protagonistes. Oui. Il y a également ce bruit gluant de fromage qui colle sous la semelle. Certes. Vous avez bien fait de pointer ce détail du doigt— Mais je suis le narrateur, donc j'apprécierais que vous ne me piquiez pas mon job ! Merci. Bref... Kaiden n'est pas rassuré, pas le moins du monde, étant donné qu'il a sorti sa hache de son havresac. Il serre nerveusement ses doigts gantés autour du manche en bois de sa lame. Molly n'aime pas beaucoup l'idée de voir le Thanatique du groupe armé et, surtout, en état de stress constant. Elle se rassure comme elle peut, se persuadant que si brandir sa hache le rassure alors il est sage de le laisser faire. Ça ne fonctionne pas.

Au bout d'un moment, la trentenaire craque et elle propose aux deux hybrides de se séparer. Elle souligne que ce n'est effectivement pas l'idée la plus brillante du vingt-et-unième siècle, mais elle est persuadée que s'ils se répartissent les zones, ils seront plus à même de retrouver ces maudites trottinettes. Plus vite ils mettent la main sur les véhicules électriques, plus vite ils quittent cette porcherie— pardon. Cette pizzeria. Qui est une porcherie. Roxan est sceptique. Kaiden est carrément perplexe. La femme aux boucles serrées n'est pas certaine de son plan... Malheureusement, l'air vicié de ce bâtiment et l'ambiance qui règne ici ne lui donne absolument pas envie de rester plus longtemps que nécessaire. Molly sait que ses compagnons partagent ce sentiment et que la seule chose qu'ils désirent tous, c'est de retrouver le ciel nuageux du monde extérieur. Elle regarde autour d'elle et elle constate qu'ils se trouvent dans la pièce centrale du bâtiment : c'est ici qu'il faudra se rendre si jamais il y a un pépin. Le plan n'est pas sans faille, mais personne ne veut perdre une seconde de plus dans cette poubelle abandonnée.

Les trois survivants, chacun handicapé à sa manière, se séparent donc dans le but de ratisser le terrain avec une efficacité potentiellement triplée : Molly Werner est assignée à la zone réservée aux employées... Costumes de mascotte, boîte à outils, caméras de surveillance dysfonctionnelles... Si ces fichus écrans étaient opérationnels, elle aurait eu vite fait de localiser la salle de stockage des trottinettes. Elle affaisse les épaules, mais elle ne baisse pas les bras. Elle continue de creuser. Du côté de Roxan Idris, cette dernière est convaincue qu'il ne trouvera rien. Il s'est retrouvé avec les cuisines. Il y a 0% de chance de trouver des véhicules électriques dans un endroit pareil— Et grands dieux, que c'est sale et mal entretenu ! Toutefois ! L'hybride s'approche d'un tiroir et elle l'ouvre. Il s'empare immédiatement d'un couteau de cuisine ; la chevelure blond cuivré ne se sent pas du tout en sécurité.



Je commence à en avoir par-dessus la tête de ce sol gluant et dégueulasse au possible. J'ai l'impression de piétiner des organes tellement ça suinte et que ça colle à la semelle de mes chaussures. Ce n'est pas pour cette raison que je vais faire marche arrière. Ma hache en main, je progresse à pas de loup (si on peut appeler cela ainsi, vu le bruit que ce fromage de pacotille provoque à chaque fois que je décolle la plante de mes pieds du sol). Je suis attentif à ce qui m'entoure. Ou plutôt, j'essaie de l'être. Le vacarme de cet insupportable fromage parasite mes oreilles. Je vais devenir fou si ça continue comme ça. Je baisse les yeux et je constate que pour accompagner ce tas de moisissure comestible se prélasse une substance étrange qui oscille entre le rouge et le marron. Du sang ou autre chose ? Non... Improbable. Pourquoi des créatures iraient casser la croûte à l'intérieur d'une pizzeria déserte ? Les machins sont trop stupides pour faire ça dans l'intimité.


‹C'est du sang. C'est évident, Kaiden.

–Et ? La seule chose que cela indique, c'est que c'est du sang.

–Non. Regarde attentivement. C'est encore frais. Il y a du sang frais, insiste la petite voix dans ma tête. Je pourrais presque visualiser son doigt pointant le sol.

–Tu penses que nous ne sommes pas seuls, c'est ça ? demandé-je alors que je sens l'anxiété grandir en moi.

–Oui. Sois prudent.› ordonne le moi-pensant d'une voix inquiète.


Je hoche doucement la tête pour que cette partie un petit peu trop expressive de mon cerveau sache que j'ai compris le message et que je compte agir en conséquence. Mon attention se fait plus accrue, au même rythme que le stress qui augmente joyeusement. Respire, Kaiden. Respire. Je dois rester calme. Autant que possible... ce qui n'est pas spécialement facile une fois que tu es conscient que des personnes malintentionnées se terrent dans cette pizzeria pourrie et en ruines. Où se cachent ces trouillards ? Si je les trouve avant, ils ne pourront rien faire. Je presse le pas, je fais des enjambées plus grandes alors que je pénètre dans la salle d'arcade.

Je n'ai aucune idée concrète de ce que je pourrais rencontrer en ces lieux sinistres, mais ce que je sais, c'est que je veux retrouver ces fichues trottinettes électriques et qu'il y a peu de chance de se dégoter ça dans une salle d'arcade toute pourrie et pas— On dirait que cette pizzeria sort tout droit d'un film d'horreur... ou d'un jeu d'horreur. J'aime pas cette ambiance. Mais restons concentré. En fin de compte, qu'est-ce qui est le plus important ? Trouver un moyen de transport branlant ou mettre le grappin sur ceux qui nous observent en ce moment même ? Empêcher une catastrophe est la meilleure solution qui se propose à moi. J'espère, par contre, que Molly et Roxan s'en sortent de leurs côtés et qu'ils vont bien. Que personne n'a tenté quoi que ce soit contre elles. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que c'était que ça ?

SURVIVAL E.N.D : Le chaos d'un nouveau mondeWhere stories live. Discover now