Chapitre 23 : Bouffeurs de chair

2 0 0
                                    


Je vous mentirais si je vous disais que Molly ne m'a pas fait peur en m'attrapant par le bras sans prévenir. Elle nous a tiré tous les deux, Kaiden et moi, pour que l'on se cache derrière un vieux tas de ferraille recouvert d'un vert absolument désagréable au toucher. Kaiden ne m'a pas l'air d'avoir vraiment réagi ; toujours dans la lune. Je dirais même sur Pluton, de visu. Je n'exagère pas. Je ne sais pas ce que notre nouvelle amie a vu. J'imagine cependant que si elle s'est empressée de nous mettre à l'abri, c'est que ce n'est pas très safe. J'aimerais beaucoup lui poser quelques questions mais— est-ce que je ne risque pas d'attirer l'attention de ce qui nous menace ? Sans compter que Molly pourrait très bien ne pas me répondre. On dirait le genre de personne à éluder sans arrêt pour X raisons.

Je regarde Kaiden. Je regarde ensuite Molly. Il n'y a pas— grand-chose à voir. Ce que je veux dire par là, c'est que du côté de mon compagnon, c'est toujours une personne coincée dans sa tête que je zieute. Quelqu'un qui est sincèrement sur les rotules. Concernant notre camarade à la chevelure frisée, elle ne cache pas le moins du monde cette étrange lueur qui brille dans ses yeux. Je ne sais pas ce qu'elle voit, mais c'est quelque chose de fascinant ; en tout cas, on dirait que ça l'est pour elle. J'ai envie de savoir ce qui se passe ! Pourquoi elle ne communique pas ? D'ailleurs... Elle a la trentaine. Ok. Mais elle a quel âge précisément, au juste ? Pourquoi je me pose cette question dans un moment pareil ? On est peut-être en danger, là, tout de suite ! J'affaisse les épaules et je tente de soupirer le plus discrètement possible. Mon aînée se tourne vers moi et elle fronce les sourcils. Elle me dévisage, l'air questionneur. Elle est sérieuse ?! C'est moi qui devrais m'interroger sur ce qu'elle fait ! Pas le contraire !

Elle me fixe un long moment. Ça m'a paru une éternité. Elle pose une main sur mon épaule et elle la tapote doucement pour me faire comprendre que si je veux ma réponse, je dois me rapprocher d'elle. Pour rappel : sa main droite est celle qui n'est pas une prothèse d'avant-bras ! Pourquoi je souligne ce détail, moi ? Ah oui ! Pour dire que ce qui remplace son bras, c'est électronique ou quelque chose du genre. Et ça fonctionne toujours ! C'est pour ça que je voulais vous en parler ! Bref... Je m'égare un peu, là. Je m'exécute. Je peux enfin voir ce que Molly est en train d'observer depuis tout à l'heure. Je sens les traits de mon visage qui se durcissent alors que la confusion grandit dans mon esprit ; c'est un petit groupe d'individus à la peau cyanosée, comme moi. Ils ont l'air de chasser des animaux. Pour se nourrir, j'imagine ? Je sursaute en voyant l'un d'eux sortir ses griffes et— Ew. Beurk. Non. Je ne veux pas en parler. Pauvre bête... Elle a sûrement souffert... N'ont-ils aucune empathie ? Aucune compassion ? On dirait des bêtes sauvages ! Pourquoi semblent-ils si différents de moi ?

Le pire, selon moi, c'est qu'ils rigolent de la souffrance qu'ils causent à cette pauvre petite chose qu'ils viennent de— Est-ce que je suis vraiment obligée de décrire ce que je regarde ? Je sais que vous êtes des lecteurs et que vous avez besoin du narrateur pour vous aider à savoir ce qui se passe mais... Non ! Non ! Je ne peux pas. Si c'était Kaiden, il l'aurait fait sans broncher. Il est comme ça. Mais moi, je ne peux pas. Je ne m'en sens tout simplement pas capable. Je ne peux pas. D'accord ? C'est trop difficile. Vous pouvez le comprendre, non ? Qui plus est... Je... Je n'aime pas ce que je ressens. Mais cette chose en moi, elle rigole. Elle s'amuse, elle aussi, de ce que je regarde. Ça me dégoûte. Je me dégoûte. Je ne suis pas comme ces monstres ! Je ne suis pas comme eux ! Je dois rester calme. Reste calme, Roxan. Ils finissent par quitter les lieux. Enfin ! Notre aînée, à Kaiden et à moi, se relève et nous fait signe que la zone est à présent sans danger.


«C'était pas jojo, hein ? J'aurais préféré que tu ne vois rien.

–Moi aussi, j'aurais préféré...

–Tu comprends un peu mieux pourquoi les gens craignent les hybrides, j'imagine ? me demande Molly qui plaque ses deux mains sur ses hanches.

–Oui. Je... Pourquoi sont-ils comme ça ? je peux sentir mes lèvres trembler alors que je pose cette question.

–Le côté "bouffeur de chair"... Primitif ? Personne ne le sait vraiment.» répond-elle ; on dirait qu'elle esquive la question.


Je suis prêt à lui poser de plus amples questions. C'était avant que je ne remarque, du coin de l'œil, Kaiden qui se plie de douleur. Comment cela se fait-il que je ne l'ai pas remarqué plus tôt ? Il ne se relève pas. Il reste près du sol. Il tient son ventre comme si quelqu'un lui avait tranché le bide... Je reconnais de suite les symptômes ! Je me baisse à sa hauteur. Je lui demande, sur une échelle de un à dix, combien il mettrait pour décrire la souffrance qui l'immobilise. Il ne me répond pas. Il couine, tremblant assez violemment. Il lève la tête pour me regarder et je vois ses yeux remplis de larmes. Des larmes qui roulent sur son visage crispé de douleur. Molly arque un sourcil ; elle n'a pas l'air de comprendre ce qui se passe. Pas tout de suite, en tout cas. Est-ce que je vais devoir lui expliquer ? Elle s'approche et elle me demande ce qui ne va pas avec mon compagnon. Elle a l'air inquiète.


«Ce sont les SCP, dis-je simplement. Je serre doucement les mains de Kaiden et je lui demande de respirer aussi calmement que possible.

–Les... Quoi ? Molly fronce les sourcils, ayant l'air d'être un peu perdue.

–Saignements et Crampes Périodiques. Kaiden n'aime pas appeler ça les... heu... Tu vois ?

–Oh. Oh... D'accord, lâche-t-elle alors que ses traits se détendent, Qu'est-ce qui pourrait l'aider ?

–Des antidouleurs, de la chaleur et des étirements. Un coin tranquille aussi.

–Est-ce que les antidouleurs marchent au moins ? Molly a l'air plutôt perplexe, elle ajoute tout de suite après : Ça ressemble pas mal à de l'endométriose, Roxan.

–Je sais.» c'est ma seule réponse à cette remarque.


Ensemble, nous essayons de maintenir Kaiden en position debout ; je peux vous garantir que vous ne regretterez pas la quinzaine, voire vingtaine de minutes qui se sont écoulées avant que Molly et moi n'arrivions à le redresser. Ça a été particulièrement difficile de l'aider à se lever. Je pense que sauter ce passage de l'histoire ne vous manquera pas. Nous marchons. Et je l'entends geindre de douleur. Je pince mes lèvres. Je plisse les yeux. Je fronce les sourcils... Ça me fait de la peine de le voir dans cet état. Moi aussi, j'ai mal lorsque ça me tombe dessus, une fois par mois, mais— je ne crois pas avoir aussi mal que lui. Je dis ça, mais nous ne pouvons pas vraiment comparer. J'ai déjà eu des moments assez rudes... Mais lui ? Il m'a déjà expliqué qu'il prend deux antidouleurs différents sans que cela ne marche vraiment. Il doit faire tellement de choses pour gérer ça. Sinon, il est incapable de faire quoi que ce soit.

Nous marchons pendant... une bonne heure, je dirais ? Un peu plus, peut-être. Nous traînons mon compagnon. Molly est silencieuse. Je peux la voir, dans ma vision périphérique, vérifier si Kaiden a de la fièvre ou s'il a besoin d'eau. Elle est sincèrement soucieuse de son bien-être ; ça me rappelle l'attention toute particulière qu'elle m'a porté quand j'étais la prisonnière de Konrad. Comment est-ce possible pour quelqu'un qui a perdu l'amour de sa vie de vouloir autant prendre soin de ceux qui sont responsables de cette séparation tragique ? J'aimerais vraiment comprendre, mais je n'y parviens pas. Elle devrait, à minima, vouloir nous donner une droite. Nous insulter ! Sauf qu'il n'y a rien de tout cela ! Oh... Une maison. Enfin. Il y a peut-être de quoi aider Kaiden. Et s'il n'y a pas de bouillotte— on sait quoi faire. Ça risque de piquer. J'espère qu'il y en a. Vraiment.

SURVIVAL E.N.D : Le chaos d'un nouveau mondeOnde as histórias ganham vida. Descobre agora