Chapitre 23

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Camille






Son cœur s'affole sous ma main. Il est aussi fou que ses mots. La nuit se déchaîne derrière les grandes baies vitrées de nos chambres qui ne font désormais qu'une. Le verre brisé nous encercle, esquintant nos corps qui reposent dessus. Pourtant, la douleur n'est pas physique. Je la lis dans ses yeux, je la sens sous sa peau rendue humide par sa transpiration. Je fais glisser mes doigts sur son torse et prends une bouffée d'oxygène —j'en manque cruellement.

— Camille !

Sa main se referme plus fort sur mon poignet, faisant bientôt office de garrot. Je ne réagis pas, je le laisse me faire mal comme il a mal. Loin de ressentir l'intégralité de sa douleur, je cherche dans son âme d'où elle provient. Je sonde ses pensées et fouille plus loin, allant jusqu'à des contrées que je n'avais encore jamais explorées. Le contact intense qu'il a initié m'aide à pousser mon don dans des limites qui me sont nouvelles.

Il est si sombre.

Son esprit est une nuit sans lune.

Des volutes de fumées noires épaisses l'habitent, elles dansent derrière ses yeux et me bloquent le passage, luttant contre mon intrusion. Elles sont de plus en plus nombreuses, denses et oppressantes. Je n'arrive pas à mettre un nom sur cette sensation tant elle est terrifiante, se multipliant en ne laissant derrière elle que l'obscurité.

Valéryan se perd dans la noirceur.

Valéryan se meurt.

Et ces volutes ne cessent de croitre en tapissant son cerveau, son cœur et chacun de ses organes. Elles nécrosent chaque infime partie de son corps. La réalité s'impose à moi comme un mauvais rêve. Je suffoque et plante mes ongles dans son torse pour arracher ce mal qui le ronge.

Cette fumée n'est rien d'autre que la mort.

— Brûlez-moi, s'il vous plait.

C'est une supplication, une voix douce. Je ne supporte pas de l'entendre prononcer ces mots, comme si j'allais accepter une telle requête. Comme si, quelque part, j'en avais envie. Valéryan pense que je souhaite sa mort et que je trouverais dans celle-ci une libération. Je le devine dans chacun de ses souffles erratiques, je l'entends dans ses larmes et j'attends en vain de sentir le reste d'un espoir. Il n'y a rien sinon le vide.

Valéryan s'est perdu.

Je l'ai laissé se perdre en me trouvant, mais il n'est pas trop tard. Je refuse de croire que les choses ne peuvent être changées.

Mon corps se réchauffe tandis que ses supplications continuent, que le verre écorche notre peau en faisant couler notre sang sur le sol. Nos amis ne cessent de crier et de tambouriner à la porte, mais je ne peux leur ouvrir. Je ne laisserais pas Valéryan seul, même si je suis totalement impuissante face à sa torpeur.

La liberté ne peut être acquise si c'est pour en priver l'autre. J'ai l'impression de tout lui avoir pris, de l'avoir asservi à ma cause en passant mon temps à attirer l'attention. Je l'ai ignoré, profitant de ce qu'il m'offrait comme s'il me le devait. Valéryan ne me doit rien. Nous ne nous devons rien, nous sommes un tout. Je l'ai oublié quand je me suis mise à le détester. Je me suis oubliée quand je l'ai oublié, et les volutes de fumée qui tapissent son âme se jouent de moi en mimant sa mort.

Je ne peux l'imaginer mourir, de ma main ou de celle de n'importe qui d'autre. Cette pensée me rend folle de rage, si bien que je ne sais plus qui fait le plus mal à l'autre. Est-ce sa poigne ferme qui enserre mon poignet où mes ongles qui tailladent sa poitrine ? Qui a blessé l'autre en premier lieu ? Qui a eu la primeur du mensonge, de la manipulation et de la trahison ?

ORIGINELS [ Les enfants de la lune vermeille ]Where stories live. Discover now