Chapitre 22

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La prophétie des uns fait la malédiction des autres. Ma malédiction porte son nom, celui que je lui ai choisi lors de la Sélection. Je me suis maudis sans le savoir, posant mon regard sur son corps nu derrière cette vitre. J'ai su que c'était elle, j'ai naïvement cru qu'elle m'était destinée. Je n'étais que le messager envoyé pour la trouver, puis l'amener à un autre qui saurait se montrer digne d'elle.

J'attrape mes cheveux et les tire dans mon poing jusqu'à ce que mon cuir chevelu soit douloureux. Je tire dessus et ne cesse que quand je n'ai plus la force de me faire du mal.

Cela fait quelques heures que je suis rentré de notre balade pour m'enfermer dans ma chambre. J'ai fui la conversation de mes amis en prétextant une migraine. J'ai refusé le repas, justifiant ma satiété par un manque de sommeil trop grand pour me concentrer sur un autre besoin. J'ai entendu leur inquiétude à travers la porte, j'y ai répondu avec agacement, leur ordonnant de me laisser en paix pour cette soirée.

Seuls Camille et Rydstorm ne sont pas venus réclamer ma présence. Sans doute que mon absence est la plus belle chose qui puisse leur arriver, leur permettant ainsi d'avoir l'intimité dont ils ont besoin. Et ce sacrifice que je fais est la preuve que mon amour est d'une stupidité sans nom.

Je m'assois au bord du lit, la fébrilité faisant trembler mes jambes autant que mes mains. Dehors, la nuit est tombée. La lune pleine éclaire ma chambre à travers les immenses vitres et je ne me suis jamais senti aussi seul que je le suis ce soir. Je souhaite le rester —seul. Je veux qu'ils prennent conscience que je ne suis pas nécessaire à l'accomplissement de la prophétie, qu'ils réalisent que j'avais raison depuis le début. Ils me prendront en pitié et culpabiliseront d'être meilleurs que moi, alors je les rassurerai.

Il n'est pas difficile d'être meilleur que moi, c'est à la portée de n'importe qui.

Je me lève et titube, froissant ma chemise dans ma paume moite. Je m'avance vers les vitres et admire la grandeur de Pariendi qui s'étend sous mes yeux. Une goutte de sueur perle sur mon front. Je concentre tous mes efforts sur la tentative d'éteindre la voix qui loge dans ma tête. Elle est en sourdine, mais elle est là. Je la sens comme une présence parasite comme laquelle je lutte sans relâche. Cette lutte use mes forces, me paralyse et m'affole. Ils ne comprennent pas. Ils ne savent pas comme cet ennemi m'assaille en continu, imposant ses mots que je tente d'ignorer.

Un éclair pourfend le ciel noir qui menace Odium. Il semble tout droit sorti de la lune. Le tonnerre gronde comme ma colère enfouie. J'essuie la sueur sur mon visage et déboutonne ma chemise que je laisse tomber sur le sol. Mon torse est luisant, mon pouls palpitant trop vite, trop fort.

Deux autres éclairs éblouissent la ville avant que je ne me détourne de ce spectacle grandiose. Mon cœur manque un battement quand j'aperçois la silhouette de Camille derrière la vitre qui sépare sa chambre de la mienne. Agacé par le fait qu'elle m'épie au lieu de consacrer son temps à l'évidence de l'amour qu'elle devrait porter à Rydstorm, je ne lui offre aucune attention. Je soupire, me mords violement l'intérieur de la joue et accueille le goût métallique du sang dans ma gorge avec reconnaissance. Mes mains essuient la sueur sur mon torse et griffent mon ventre avec fureur. Des marques prennent place sur ma peau. D'abord une, puis une multitude. Je me pince, griffe et torture, concentrant mes efforts sur la dissipation des voix qui se font plus fortes avec la présence fantomatique de Camille.

Malgré tous mes efforts pour les faire taire, je les entends.

Regarde-la.

Je n'ai que faire de la folie qui me donne des ordres. Je ne me soumettrais pas aux méandres de mon esprit et n'offrirai aucun regard à celle que j'aime malgré moi.

ORIGINELS [ Les enfants de la lune vermeille ]Where stories live. Discover now