XXVIII - (AR)tifices

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À Ar (parce que t'es loin d'être comme les autres A)

C'est drôle, on s'est rencontré le 14 juillet, et aucun artifice n'a illuminé mes yeux ce soir là. Dans le ciel, je devinais les couleurs exploser, scintiller un instant avant de retomber sur un sol à demi desséché. J'étais coincée dans cette maison, dans ces quatre murs de l'horreur. A mourir de l'intérieur. Et puis tu es apparu, comme par enchantement.

Aucun éclat de rire n'avait retenti de cette façon, dans cette chambre constamment plongée dans la pénombre, depuis un long moment. Je me souviens que ce qui m'avait frappé en premier, c'était ta façon d'être si drôle sans le faire exprès.

A cette période, j'avais la voix et le cœur cassés. Éraillée, elle essayait de se frayer un chemin audacieux jusqu'à toi. J'étais loin de vouloir t'impressionner, en fait c'était peut-être la première fois depuis longtemps que j'en avais absolument rien à faire. Tu m'as donné envie d'être moi, pour la première fois. Tout s'est fait si naturellement que j'ai presque eu l'impression que ça avait toujours été comme ça. J'ai évité de me poser des questions, j'ai évité de réfléchir trop souvent, j'ai évité d'y prêter attention les premiers temps.

Puis un soir, tu m'as demandé si j'aurais envie d'aller me balader, un jour, avec toi. Et je voulais dire oui si fermement, mais ma voix retrouvée, avait de nouveau peur du passé. J'ai commencé à me poser des questions, j'ai commencé à penser, et la machine infernale s'est enclenchée.

« Et si... »

Et si ça se passe mal? Et si c'est faux? Et si on me détruisait à nouveau? Et si c'était une blague? Et si je lui plaisais pas? Et si il me déteste? Et si... et si...

On dit souvent qu'avec des si on pourrait mettre Paris en bouteille, et moi j'ai mis ma vie sous cloche. Rien n'y pousse, sauf l'angoisse, la peur et l'anxiété. Je suis une fleur qu'on a toujours empêchée de pousser. On m'a coupé tant de bourgeons, arraché mes pétales, raccourci ma tige. Déshydratée, je crevais la soif de cet amour qu'on m'avait promis, quand on voit le jour dans les bras aimants de parents unis. La seule chose qui était soudé, c'était cette haine et la violence héritée de mère en fille. Depuis des générations, si on naît dans cette maison, on est maudits. Je n'échappe pas à la règle, et c'est loin d'être joli.

« Et si pour une fois j'y croyais? » que je me suis dit. Alors j'ai arrêté de vouloir m'enfuir, de te faire partir. Parce que la vérité c'est que j'ai toujours voulu qu'on reste, même quand j'étais la première à déguerpir. Je me suis accrochée si fort, les pieds ancrés dans le sol, que mes racines se sont installées.

A chaque coup de vent glacial, j'ai fermé les yeux et je t'ai écouté me dire à quel point je suis super. Même quand mes versions passées me hurlaient que c'était un piège, j'ai voulu ce « et si » inédit. Quand les larmes se sont mises à couler, je t'ai entendu me dire que je mérite d'être heureuse. Alors quand mon anxiété s'est mise à crier que c'était probablement pour mieux me blesser, j'ai serré les dents jusqu'à presque les briser.

Jusqu'à un beau jour où une nouvelle saison est apparue dans mon cœur, un doux printemps. Ça faisait des siècles que je n'en avais pas vu passer. Un petit bourgeon s'est montré, puis une petite fleur d'un rosé poudré si délicat, que j'ai eu peur qu'elle se voit déchiquetée par les averses d'antan qui me hantent sans arrêt. Cette petite fleur s'est mise à parler, et elle m'a dit « tu as le droit de vouloir être aimée, et tu le mérites. La guerre est finie, l'hiver s'en est allé. Tu peux lâcher les armes, on ne partira plus au combat. Ils sont tous tombés et tu t'es relevée, quoi qu'il se passe, tu peux le surmonter. La guerre est finie, laisse la paix s'installer et le printemps te guérir. »

J'ai presque pleuré ce soir là. J'ai eu mal à toutes ces cicatrices que je suis la seule à pouvoir constater. Parce que parfois, ce qui me permet encore d'être debout, c'est la douleur que j'ai enduré. M'accrocher à cette souffrance, c'est l'assurance que je n'ai pas vécu tout ça pour rien. Que ça avait un sens. Mais pourquoi continuer à me battre sur un champ de guerre déserté? Je n'ai toujours connu que la peine, les hurlements, les cris, les coups... comment apprivoiser la paix?

Je n'ai pas encore de réponse à te donner. Mais une chose est sûre c'est que tu m'apprends sans le savoir, ce qu'est le calme et la quiétude. Parfois, au milieu de cet espace apaisant que tu crées, une tornade se forme en moi et tente de tout raser. Mais je la contiens, et tu la calmes sans même en avoir aucune idée. Tu es cette accalmie que je n'avais pas vue venir. Avec des mots si doux qu'on dirait du velours.

Et si c'était vrai? Et si ça faisait du bien pour de vrai? Et si ça marchait? Et si je pouvais y croire? Et si pour une fois la gentillesse n'était que gentillesse? Et si les intentions étaient louables?

Et si, toi, qui arrives à te frayer un chemin au milieu de ce champ de bataille et en voir une beauté que j'ignore... alors, et si moi, je le pouvais?

Et si j'y avais vraiment le droit?

La rose et les épines.Where stories live. Discover now