VIII - (R)ien oublié.

22 5 5
                                    

A R, 2020.

Parfois, ta voix brisée résonne encore de l'autre côté du téléphone. Juste dans mon souvenir, c'est déjà bien trop pesant.

Je me demande sans cesse "est-ce que j'aurais dû faire autrement?" lorsque quelque chose ne tourne pas du bon côté. Un million de questions pour si peu de garanties, parce que je ne suis pas maitresse de toutes les vérités de ma vie.

Souvent, j'y pense, et je me dis que je n'aurais pas dû raccrocher ce jour-là. La façon dont tu m'as demandé de venir chercher les affaires qu'il restait chez toi au bout de deux mois, des larmes plein la gorge, et mon coeur noué... J'aurais dû accepter.

Je serais restée si tu n'étais pas parti le premier.

J'essaie de me convaincre que je suis celle qui est capable de tout plaquer, les yeux fermés, et sans jamais me retourner. Avant ça, il faut m'abandonner un bon nombre de fois. J'aimerais être celle qui part, parfois, mais je n'ai jamais eu la force de renoncer trop tôt. Mon problème avec la guerre, c'est que même les genoux à terre, même à moitié criblée de balles, j'continuerai la bataille.

Pourtant, toi, il a suffi d'un au revoir pour que tourne le vent et gonfle la voile.

Etait-ce parce qu'au fond de moi je savais qu'on n'était pas faits pour durer? Ou parce que tu étais trop sincère? Ou que j'étais trop triste?

Parfois, lorsque la solitude est si profonde que j'en viens à douter de ma présence, je me demande si c'est pour ça que tu m'avais appelé ce soir-là. Dans ces instants, je pourrai renouer avec n'importe qui juste pour qu'on me prenne dans des bras chaleureux. Qu'on me serre trop fort, que ça recolle les morceaux, et que je puisse repartir.

Tu m'as dit que ça allait mal, que tu sombrais beaucoup trop pour réussir à m'aimer. Je crois qu'à l'époque, et peut-être même encore aujourd'hui, j'aurais pu aimer pour deux, pour trois...

J'aimais lire dans ton appartement pendant que tu travaillais tous ces mathématiques. J'y comprenais rien, mais c'était beau de te voir tout expliquer comme s'il ne s'agissait que d'une banalité. J'aimais t'entendre dire "j'y vais, à ce soir", alors que je n'ai jamais été du genre à accorder de l'importance à ces choses.

Personne n'a jamais attendu mon retour, et encore moins remarqué mon départ.

Alors la journée me semblait s'étirer, comme si Einstein et sa relativité venaient me narguer. Puis la porte faisait ce bruit agaçant qui te faisait râler, et t'étais là. On aurait pu me confondre avec un clebs, mais au fond, je crois que c'était pas très grave. J'étais contente de voir que tu m'avais laissée là avec l'espoir de m'y retrouver. Parce que pour une fois, on estimait ma présence. Tu souriais, c'était ce que tu faisais en premier en me voyant, et ensuite tu me saluais. J'avais pas compris à l'époque, mais ça voulait dire bien plus que je ne le croyais.

Si j'étais restée, tu serais quand même parti. La boucle est infinie. Si elle se passe ainsi, elle fera le même chemin dans une autre vie. Plusieurs existences mais un seul et même destin. On change juste les personnages et les alchimies, mais rien qui ne soit déjà écrit.

Je coupais l'appel de celui qui m'a donné le plus de douceur, même si ça s'est fini, pour offrir mon attention à celui qui m'a brisée comme jamais personne ne pourrait à nouveau l'oser.

J'étais trop jeune pour comprendre que même si t'avais mis un point final, j'aurais pu être là. T'as dit au revoir à demain, et je t'ai dit adieu d'un signe de main, parce que je croyais qu'il fallait qu'on s'oublie.

Mais depuis toutes ces années, je me souviens très bien.

C'est parce que je me souvenais trop bien que j'ai fermé les yeux lorsque je t'ai dit que je ne viendrai pas. Que tu pouvais jeter ce jean et ce débardeur. Tu m'avais fait une place dans un placard qui ne demandait qu'à être rempli, quand mes affaires étaient bien trop habituées à passer de sac en sac.

T'avais réussi à me faire oublier qu'à tout moment, on pouvait me remplacer, qu'on pouvait ne plus vouloir me faire rester.


Il pleuvait quand tu m'as quittée. J'ai marché sous la pluie pour pas qu'on me voit pleurer. Je voulais que tu fasses demi-tour, que dans le virage tu freines et ouvres la porte. J'aurais continué à marcher parce que je suis trop bête pour arrêter de bouder quand je suis blessée. Je croyais que ça pourrait se réparer. Et pourtant, quand tu t'es attaché, que tu as pris ce virage et que tu t'es volatilisé, j'ai continué de pleurer. Parce qu'au fond de mon coeur, je le savais.


Tu es parti comme j'ai raccroché ; dans un élan d'oubli, parce que c'était la seule chose qu'il fallait faire.

Et pourtant, aujourd'hui, je crois encore que j'aurais dû rester. Parce que tu m'as appelé ; tu as freiné dans ce virage que tu as pris. Tu as reculé, au moins jusqu'à mon amitié. J'aurais dû monter par cette portière que tu me présentais.

Quand la solitude me ronge, que le mal me dévore, je me demande si toi aussi tu étais roulé en boule dans ce lit dans lequel on a tant aimé. Si toi aussi tu voulais juste qu'on serre ton coeur pour tout réparer.

Je sentais ton bras me ramener à toi dans ton sommeil, et aujourd'hui c'est une sensation qui me hante ; ils me laissent tous mourir de froid.

Maintenant, c'est la solitude qui m'attrape et me serre la nuit.

J'aurais dû t'écouter.

Mais c'est toujours trop tard lorsque fleurissent les regrets...

La rose et les épines.Where stories live. Discover now