III - (M)oi et ton fantôme.

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À Maman, août 2022.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que je me rappelle de ce poème que j'ai fait lire à ton enterrement. Celui de William Blake sur le voilier.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que mon esprit oublie que si je t'appelle, tu ne répondras pas. Parfois je voudrais te demander comment faire cette recette que tu m'as expliqué quelques jours avant. Je ne veux pas la connaître, récite la moi encore.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que j'ai quelque chose à te dire. Pourtant, on ne se parlait plus vraiment, juste les faux semblants. Derrière toutes ces fois où j'avais besoin de toi pour remplir des papiers, en fait c'était ma vie que je voulais que tu remplisses.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que j'entende encore ces mots au bout du fil. « Ta mère est morte ». Comment on meurt, maman? Moi ça fait des années que je me sens partie, pourtant toi tu l'es vraiment.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que la saveur soit éventée. Hier est aujourd'hui, sera demain, puis dans dix ans. Mets moi un pansement sur le coeur et du mercurochrome, ça saigne bien trop fort.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que la colère monte, si tu me voyais. Je souris bien trop fort pour que ce soit vrai, ça brise mes tympans quand je rigole. Parfois je sursaute parce que ça sonne creux. J'ai le vertige, j'me sens happée par le vide en mon for intérieur.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que la haine gronde. J'voudrais tous les attraper et leurs hurler à quel point toute cette douleur me ronge. Tu crois que les sourds perçoivent les cris? Moi j'vois des aveugles percevoir les couleurs. Si tu voyais ta mère décrire un ciel bleu et fermer les yeux sur les miens.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que je me dise que j'aurais pu te sauver. J'ai été dans le sud et j'ai pleuré. T'aurais dû être là, j'aurais dû te montrer ces eaux bleues, ces montagnes, ces champs de lavande. T'aurais dû contempler les maisons que tu aurais imaginer avoir. Me dire la couleur des murs qui te faisaient envie. Goûter ces salades aux saveurs du soleil.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que je rêve du bonheur. Mais je n'arrive pas à me l'offrir, c'est trop difficile. Ça l'a toujours été. Mais maintenant que tu n'es plus là, je suis la seule à pouvoir me l'accorder.

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que l'amour me hante. Tu crois qu'on aurait pu s'aimer si ta mère avait été différente? Si ton père n'était pas parti? Si ton frère n'était pas débile? Si je n'avais pas eu 16 ans et 40 à la fois? Si la vie avait été plus douce, est-ce que tu m'aurais aimé plus volontiers ?

Je crois qu'il n'existe pas un jour sans que je me demande si tu m'as entendu hurler à ton enterrement. Est-ce que tu as entendu les mots que je t'avais écrit? Est-ce que tu as aimé ces roses rose poudré? Est-ce que tu m'en veux de t'y avoir laissé? Je ne voulais pas partir, tu sais. Ça me semblait absurde de te laisser seule dans ce cimetière froid, vide, sans vie. Est-ce que ton manteau préféré te tient trop chaud en été? Je suis désolée, parce que je sais que six mois par an il te sera d'une grande utilité.

Je crois qu'il n'y a pas un jour qui puisse se lever, sans que ma vie soit brisée par ton absence. Depuis ce mardi soir, il y a plus d'un an, le ciel ne s'est jamais relevé de mes épaules. C'est lourd le poids d'une absence. J'ai perdu ma mère, mais j'ai aussi perdu l'espoir. Je t'attendais, pour revivre. Pour exister. J'attendais que tu me vois, que tu sois fière. Tout le monde dit que ça m'a rendue plus forte, si seulement les cons pouvaient se taire. Personne n'est fort, et certainement pas moi. Certainement pas depuis que t'es plus là.

On m'a enterrée avec toi. Je me tenais par la main, j'avais dix ans. Et je me suis jetée dans ta tombe. Quand ils ont fermé le caveau, j'ai perdu la petite fille qui attendait l'amour de sa maman. Tout ce qu'il reste, c'est le cœur vide d'une adulte en manque de repères, et qui a enterré sa mère.

La rose et les épines.Where stories live. Discover now