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Il était une fois, décembre et un sapin, qui avait autant les boules que moi d'être là.

« - Et alors, les amours? Comment ça se passe? »

Puis tous les ans, c'est la même chose.

J'ai déjà subis un interrogatoire chez les flics, et c'était une douce conversation en comparaison avec celui qui est instauré tous les ans pour les fêtes de fin d'année.

On rembobine le film.

Acte 1, les retrouvailles.

Il y a cette bise insupportable quand ils arrivent, comme si on me forçait à embrasser la source de mes traumatismes. Les murs de la maison ont été repeints, mais j'entends encore mes pleurs d'enfant. Celle-là même qui, à l'intérieur de moi, demande si « on doit vraiment y aller à ce dîner ? »

La vieille bique qui critique le trou dans mon jean « tu l'as trouvé dans une poubelle ton pantalon? ». [Rire de l'assemblée]

Lever les yeux au ciel ne sert plus, je connais le plafond par cœur à force.

Les regards en chien de faïence, tout le monde se jauge, se scrute, se juge. Personne ne s'aime autour de la table, il y a eu plus de trahison qu'autour de la table ronde. Je me demande qui est Arthur ici ?

Acte 2: le bal masqué.

Commencent les faux sourires, les faux semblants. Plusieurs pairs de couverts comme si on attendait le roi d'Angleterre, et ça laisse plus de possibilité à l'imaginaire.

Tous en cœurs ils rependent de la haine sur des humains qu'ils ne connaissent pas, qui ne demandent rien à personne, si ce n'est de pouvoir être tranquilles.

Plus les plats défilent, et plus je suis au bord de l'explosion. A chaque ravitaillement, un nouveau sujet bien gonflant. Le repas est un jeu de fléchettes, c'est à celui qui lancera le plus de pique à travers la tablé. Plusieurs atterrissent dans mon cœur, mais c'est rien. C'est rien. C'est bientôt Noël, il faut sourire et cligner des yeux. Poupée de cire, poupée sans son. Ne rien dire pour ne pas attiser un feu qu'on m'accusera d'avoir créé.

Acte 3: Le duel.

Je suis un miroir brisé aux reflets multiples. Les uns voient une enfant ingrate, d'autres une paresseuse, d'autres encore un parasite, ou encore une pimbêche savante, également une plaie.

« T'es trop psychorigide... »
« Olala, qu'est-ce que tu es barbante avec tes grands mots là! »
« Oh, fais pas la gueule, on rigole »
« Eh bah, c'était bien utile de faire autant d'études pour faire cette faute quand tu parles! »
« Tu vois, c'est ça ton problème, tu t'inventes des problèmes. Tu crois qu'ils font comment les autres? »
« Et si tu arrêtais un peu de jacter qu'on en place une? »
« Bah alors? Tu fais la gueule, tu parles pas? »

« - Et alors, les amours? Comment ça se passe? »

Acte 4: L'offensive.

Les amours.

Savent-ils seulement quelque chose de ce mot? Personne n'a su nous l'inculquer. Quand t'arrives au pied de l'arbre originel, il y a un vide dans son tronc. J'ai cherché, pendant longtemps, à savoir où cette pièce manquante s'en était allée, mais rien.

Ils attendent, les yeux ronds, montrant presque les crocs. Ils savent. Et ils savent que je sais. Alors on remet le masque, on prend la fourchette à dessert et on ne leur inflige pas la malediction d'Œdipe.

- Les amours... disons qu'être seule ça permet d'apprendre à se connaître.

Mauvaise réponse.

- Enfin quand même, depuis le temps, ça fait quoi...
- Quatre ans.

(Ne planter la fourchette que dans le gâteau.)

- Quatre ans! s'étonne la vieille bique.
- Moi à ton âge, je ne savais plus où donner de la tête tellement j'avais du succès!

Il y a cent ans, sans doute?

- Ça c'est parce que t'es trop difficile! Et puis regarde, pendant tout le repas t'as tiré la gueule, ça attire pas les mecs ça! s'exclame la cousine.
- C'est vrai qu'elle est pas très docile...

Pendant que la vieille bique et la cousine discutent de ma vie, je peux continuer à manger ce gâteau gorgée d'eau, aussi infecte que ce rendez-vous annuel. Puis, une fois qu'elles ont décidé que mon sort était sans espoir, elles me gratifient de conseils sur comment ne plus être moi.

- Tu devrais être plus agréable avec les gens.
- Oui, c'est vrai ça, si t'étais pas si désagréable, il y aurait des garçons qui s'intéresseraient à toi.
- Et puis tu sais, si tu trouves que le problème vient toujours des autres, c'est que c'est toi le problème!
- Oui, elle a raison.

Alors si elle a raison, elle a raison.

Parfois je me dis que j'en ai marre d'être le deuxième sapin de la maison. Celui qu'on commente sans même savoir si les mots auront pas un impact sur l'éclat de son apparence.

La seule différence entre lui et moi, c'est qu'à tout moment, je peux partir.

Alors, pardon conifère, mais je te laisse avec elles.

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant